C'est une nouvelle que j'ai écrite pour un concours (dont la réponse va tomber début du mois prochain) et j'aimerais avoir vos réactions. Je préviens, je suis totalement novice et c'est ma première !!
Voici :
Bonne lecture !Une aubaine. Je ne pensais pas qu’il en restait à la vente, et pourtant, cette annonce ne pouvait être une plaisanterie. Ce journal ne s’en permettrait pas. Et quand bien même c’était une erreur, même si c’était une coquille voire même une moquerie pour appâter les crédules, je me devais d’appeler. Je ne pouvais pas laisser passer une telle occasion, ou je ne m’appelais plus Michaël Fremont.
Je pris le journal ouvert à la bonne page et relu l’annonce, comme pour me convaincre qu’elle existait bien :
« AV Voiture 1930. Excellent état. Visible à Lunel. Prix à débattre. S’adresser : la voix de la petite Camargue ».
Non, ce ne pouvait être une erreur. Elle était bien là en face de mes yeux, écrite sur ce papier, que je tiens de mes mains. Il faut que je contacte vite avant qu’une autre personne ne me passe devant. Laisser filer une affaire pareille serait vraiment dommage.
Je pris l‘annuaire récupéra le numéro de téléphone de l’agence, puis pianota fébrilement sur les touches du clavier. Une sonnerie, puis une deuxième…et s’il n’y avait personne ? Si l’agence avait fermé depuis ? S’il y avait eu une prise d’otage ou autre chose encore pire ? Tous les scenarii défilaient dans ma tête, du plus bénin au plus grave. J’allais raccrocher quand une voix apparut :
« La voix de la petite Camargue bonjour. Emilie à votre service que puis-je pour vous ?
- Bonjour madame. J’ai vu une annonce dans le journal concernant une voiture à vendre, sur Lunel. Une vieille voiture, de 1930 plus précisément. Et comme il est dit qu’on doit vous contacter…
- Oui. Attendez que je recherche cette annonce… » Un silence qui sembla durer une éternité. Tellement que Michaël s’imagina quelle cherchait une façon de lui annoncer que l’annonce n’existait pas, ou qu’elle était retirée. Puis… « Monsieur ? L’annonce a été passée par un certain Monsieur René Fouchard. Vous avez de quoi noter l’adresse ? »
Michaël nota fébrilement l’adresse, qu’il du lui faire répéter plusieurs fois pour être sûr de ne pas se tromper. Après avoir raccroché, il resta un peu hébété, dans le vague, mais bien vite son esprit se raviva. Sa décision était prise : il partait tout de suite pour Lunel, le plus tôt serait le mieux.
La voix métallique raisonna dans le wagon : « gare de Lunel, gare de Lunel, 5 min d’arrêt ». Ce bruit soudain fit sursauter Michaël, qui s’était assoupi, bercé par le train et sa sonorité monotone.
Il n’était jamais venu dans cette ville et, à vrai dire, il ne la connaissait même pas. Il avait tout juste observé que la gare se trouvait entre Nîmes et Montpellier, mais il serait bien incapable de se situer précisément. Il avait beau avoir visualisé de longues minutes le plan de la ville sur le panneau de la gare, et essayé de mémoriser un chemin à suivre, il se retrouva vite perdu. Chaque minute passée faisait croître en lui une étrange angoisse. Il s’imaginait voir arriver la voiture convoitée à chaque coin de rue avec ses nouveaux propriétaires dedans, comme s’ils le narguaient.
Plus d’une heure après être arrivé à Lunel, et bien aidé par l’agent de police qui croisa son chemin, il se retrouva à l’adresse voulue. Derrière ce grand portail surmonté de lierre se trouvait donc l’objet convoité. Michaël avisa une sonnette et l’utilisa. Durant de longues secondes, il n’y eu pas d’autre bruit que la légère brise dans les feuilles et des oiseaux qui chantaient. Ses angoisses, reléguées au second plan derrière la joie d’avoir trouvé la maison, revinrent à toute vitesse et il se sentit abattu. Il se faisait déjà à l’idée d’avoir fait son déplacement pour rien quand il entendit un grincement, une clef qui tourne et vit que le portail s’ouvrait.
La personne qui se trouvait devant lui était plutôt âgée, quoique Michaël n’aurait pu lui donner un âge précis. Elle avait les cheveux blancs, une barbe blanche également, un visage marqué par le temps mais une allure fière et altière qui laissaient présager de certaines ressources insoupçonnées. Et ne parlons même pas de ces yeux pleins de malice pourtant à moitié dissimulés derrière d’épais sourcils.
« Je suis désolé, mais j’ai l’ouïe défaillante et je ne marche plus aussi vite qu’à mes 20 ans. Vous désirez ?
- B…b...bonjour, bégaya-t-il sous l’effet de l’émotion. Je m’appelle Michaël Fremont, et je viens pour l’annonce que vous avez passé…pour la voiture ! , crut-il bon de rajouter.
- Oui, oui, je vois laquelle c’est. Mais entrez, entrez. »
Il s’effaça et Michaël avança dans la cour intérieure. De dehors, on ne supposait pas que cela pouvait être aussi spacieux et pourtant se trouvaient là deux grands arbres, probablement depuis plusieurs dizaines d’années, une table avec des chaises dans le coin sur la droite et un espace libre plutôt conséquent sur la gauche qui donnait sur l’arrière de la maison. Et au milieu de cette cour, posée là telle une ½uvre d’art, la voiture que Michaël était venue chercher. Elle était encore plus belle qu’il ne l’avait imaginée.
« Voilà donc ce que vous êtes venu chercher. Une Ford Modèle A Sedan de 1930, en parfait état de conservation. Oh mais, suis-je mal élevé, je ne me suis pas présenté. René Fouchard. Je suis l’heureux propriétaire de cette merveille. Approchez, elle ne va pas vous mordre ! », Dit-il en riant de voir son hôte qui restait immobile. Michaël n’osait pas s’approcher trop près, et encore moins toucher, de peur qu’il n’arrive un malheur. Comme un enfant à qui on aurait toujours interdit de faire quelque chose et qui, du jour au lendemain, aurait la permission.
« Et bien monsieur Fremont, je vous invite maintenant à monter dedans et nous allons rouler un peu, afin que vous puissiez vérifier l’état du moteur.
- oh non, non je vous fais entièrement confiance. Vu l’état extérieur, je me doute que vous avez du en prendre grand soin. J’en suis persuadé même.
- Monsieur, une affaire est une affaire, et on essaye toujours une voiture avant de l’acheter. En plus, cela nous laissera du temps pour parler de ce que vous me donnerez en retour, et je vous raconterais l’histoire de cette voiture. Montez s’il vous plait. »
Ils prirent place dans le véhicule. L’intérieur était bien aussi propre que l’extérieur. On aurait dit qu’elle était neuve tant l’état était impeccable. Michaël démarra fébrilement et crispa ses mains sur le volant. La voiture se mit à avancer et il ressentit une joie immense d’être au volant mais aussi une pression énorme. Il redoutait qu’il ne l’égratigne ou pire, la détruise. Le vieil homme à coté était beaucoup plus détendu.
« Prenez à droite, puis tout droit sur environ huit cent mètres. Au rond point, prenez à droite et puis toujours tout droit » dit-il.
Michaël s’exécuta et ils roulèrent pendant près de quinze minutes en silence, le temps de sortir de Lunel et de s’éloigner par les routes de Camargue. Michaël n’imaginait même pas avoir l’occasion de voir un jour une voiture de cette époque, et vraiment encore moins pouvoir en conduire une ! Quelle chance il avait. Quand il raconterait ça à Fred, il allait être vert de jalousie !
Le silence fut rompu par René :
« Cette voiture est aussi vieille que moi, dit-il, les yeux perdus au loin. Mon père l’avait acheté seulement 3 jours avant ma naissance, en 1930. Nous habitions à Nîmes, légèrement en périphérie. Enfin, ce qui était la périphérie de l’époque, comprenez. Aujourd’hui, nous habiterions presque en centre-ville !!
Comme la clinique qui pratiquait les accouchements était à une bonne distance de la maison familiale, mon père décida de vendre son cheval et sa charrette pour passer à la modernité. Il y mit toutes ses économies, amassées durant de longues années de labeur. C’est vrai qu’elle faisait sensation, à l’époque. Une voiture toute neuve, venant directement des Etats-Unis. C’était l’attraction de tout le quartier. Et l’ironie, c’est que lorsque ma mère a eu les premières contractions, ils ont eu beau se dépêcher, ma mère n’a pas attendu d’être arrivée à la clinique, et je suis né dans cette voiture même, sur la banquette arrière. Et depuis ma naissance, cette voiture et moi avons fait route commune, comme si le fait de naître dedans nous avait lié pour la vie. »
Il se tu et resta silencieux, songeur, les yeux tournés vers les étendues herbeuses qui s’étendaient de chaque côté de la route. Michaël n’osait prononcer un mot, sentant que l’instant était chargé d’émotion, et il craignait qu’en rompant ce silence, cette sensation se perde et tout se termine brutalement.
Ils roulèrent ainsi un longue période, qui le jeune homme ne vit pas passer, trop occupé à faire attention à sa conduite. Ils suivaient une route qui avait l’air n’en jamais finir, quand ils croisèrent un panneau indiquant qu’ils approchaient des Saintes Maries de la Mer. C’est à cet instant que René reprit la parole :
« Quand nous étions jeunes, autour de la dizaine d’année je parle, nous venions en vacances sur la côte, et le plus souvent aux Saintes Maries. Je me souviens très bien que nous arrivions dans la ville, alors toute petite et regroupée autour de l’église, et que nous faisions sensation auprès des habitants. Tellement qu’à force, tout le monde nous connaissait et nous accueillait chaque fois. Nous jouions avec les quelques jeunes du village, que nous retrouvions avec plaisir à chaque occasion. On laissait nos parents aller boire un verre dans un café ou se dorer sur la plage pour aller nous promener avec nos amis locaux. Le village était tellement petit que nous ne craignons rien, ce n’était pas comme aujourd’hui…
Je me souviens également qu’un été, nous avions appris je ne sais plus comment d’ailleurs, par un journal ou un adulte quelconque, que notre voiture, celle-là même », dit-il en caressant la portière, « était le véhicule préféré d’Al Capone, le célèbre gangster américain. Je ne vous raconte même pas les parties que nous avons faites, jouant aux policiers et aux voleurs. Oh bien sûr, nous ne roulions pas à vrai, mais on imaginait les situations, les poursuites en voiture, les encerclements…Vous savez, vous qui êtes jeune, la technologie d’aujourd’hui est en train de tuer l’imagination. Nous étions capables de faire de fantastiques aventures rien que par l’imagination, alors qu’on dirait que les jeunes qui se baladent dans la rue ne savent rien faire sans leurs bidules électroniques…Enfin, je m’emporte et perd le fil.
- Vous disiez que vous jouiez à Al Capone… » dit Michaël.
- Ah oui, oui…Nous ne nous en lassions pas. Et puis un jour, mes parents m’avaient envoyé à l’épicerie chercher le journal et du pain. J’étais en colère parce que nous devions faire une énième poursuite, et pour une fois je devais faire le méchant. Mais à l’époque de ma jeunesse, même en colère, je n’osais même pas imaginer contredire mes parents. Je m’exécutais donc et partait pour le centre ville, quelques pièces en poche. Je râlais tout seul, de colère de rater notre partie, quand je la vis. Je n’oublierais jamais cet instant.
Je passais devant l’église quand elle sortit d’une porte cochère, et nous faillîmes nous percuter. Je relevai alors la tête et…Je ne pouvais plus penser, plus parler, je ne pouvais que la regarder.
Elle était un peu plus jeune que moi, un peu plus petite aussi, le teint halé, de longs cheveux très noirs et des yeux assortis. Elle portait une robe d’été camarguaise, rouge à motifs. Je revois parfaitement la scène. Elle me cria dessus, moitié français, moitié espagnol, me disant que je devais faire attention et ouvrir les yeux. Je ne pus répondre, juste la fixer. J’étais comme hypnotisé. Le seul mot que je pus sortir, c’est mon prénom, René. Elle me regarda alors, l’air hébété, puis releva la tête et me passa à côté, sans me jeter le moindre regard, fière. Je la regardais s’éloigner quand elle se retourna, me dit que son prénom à elle, c’était Isabella, et elle partit en courant.
Nous nous revîmes par la suite plusieurs fois, et nous passâmes de longs moments à discuter. Mes amis n’avaient jamais compris pourquoi je les délaissais de plus en plus », dit-il en riant. « Cette fille, jeune gitane de petit village côtier, je l’avais dans la tête tout le temps. Chaque fois qu’on rentrait à Nîmes, je languissais de revenir. D’ailleurs, je demandais toujours à mes parents quand étais la prochaine fois, et si c’était dans longtemps. A la fin, je n’avais même plus besoin de demander, ils me le disaient d’eux même. On peut dire que c’était mon premier flirt, mon premier amour. En plus, c’est la première à qui j’ai fait un bisou sur la bouche.
Nous nous étions réfugiés derrière la voiture, dans un petit coin d’ombre si précieuse par les chaudes journées d’été. Et, nous tenant la main, nous nous sommes embrassé. Un baiser de gamins, comprend, pas le vrai baiser langoureux des adultes de votre âge. Vous avez une femme ?
- euh…non pas pour le moment…
- C’est bien regrettable. Il n’y a rien de plus beau que l’amour. Je crois que j’étais amoureux, oui, j’en suis convaincu même. Un amour d’enfant, pur et sincère, et en même temps si fragile. »
Ils continuaient à rouler, sans s’arrêter. L’instant d’émotion perdurait, et Michaël ne voulait en aucun cas couper ce lien qui reliait le vieil homme à ses souvenirs. Etait-ce un sentiment honorable de respect, plutôt de la pitié pour une vieille personne qui n’a plus que ses souvenirs, ou de la franche curiosité qui le poussait à ne rien faire pour connaître la suite ? Il n’en savait toujours rien.
Toujours est-il qu’ils avaient dépassé les saintes Maries de la Mer et faisaient désormais route vers Arles, ville historique romaine. C’est sur cette route perdue au milieu des champs et des rizières, où on apercevait de loin en loin des troupeaux de taureaux, que Michaël se risqua à briser le silence, mû par une certaine gêne mêlée de curiosité.
« Vous avez l’air de n’avoir eu que de bons souvenirs avec cette voiture. Je comprends que vous y teniez autant.
- Oui, en effet, j’ai eu beaucoup de bons souvenirs. Malheureusement, il y en a eu aussi des douloureux. C’est sur une route comme celle-ci que survenu mon plus grand traumatisme, même si au moment je ne pouvais m’en apercevoir. Un jour d’été 1942, nous revenions de la plage, comme chaque été. Nous avions passé une très bonne journée, ayant revus nos amis et moi, bien sûr, mon amour de vacances. Alors que nous roulions, j’eus soudain une envie pressante. Mon père arrêta la voiture et je descendis pour me soulager dans les buissons adjacents à la route. Au loin, un bruit de véhicules qui approchaient. Malgré notre méfiance due à la situation politique actuelle, nous n’avons pas eu le temps de réagir avant qu’ils soient à notre hauteur. Bien que caché par les buisson, je vis toute la scène, qui restera gravée à jamais là », dit-il en se touchant la tempe avec deux doigts.
Le premier véhicule était une voiture toute noire, décapotable, avec deux drapeaux à l’avant, rouge avec une croix gammée. Au volant, un grand type blond avec une casquette et à l’arrière, deux autres bonhommes en uniforme. Suivait ensuite un gros camion bâché, identique à ceux utilisés pour le transport de troupes. Lorsqu’ils virent notre voiture, un des gradés fit signe au chauffeur de s’arrêter. Ils descendirent et allèrent trouver mon père, qui était debout à côté de la voiture. Je n’ais pas pu entendre la conversation, mais j’ais compris qu’ils parlaient de la voiture, puis un des deux gradés a du demander des papiers d’identité à mon père. Il ne les avait pas ce jour là, pensant juste aller à la plage et revenir. C’est ce qui causa leur perte… »
Sa voix tremblait. Il faisait des efforts pour se contrôler mais on ressentait aisément la douleur qui le parcourait. Il reprit néanmoins :
« N’ayant pas ses papiers, ils imaginèrent sûrement que nous étions une famille riche, vu notre voiture et nos affaires. C’est la seule explication que je trouve possible encore aujourd’hui. A part celle-là, il n’y a aucune explication logique. Ils les firent alors descendre de la voiture, tous, ma mère, mes frères, ma petite s½ur de 3 ans et demi, et ils montèrent à l’arrière du camion. Ils ne m’avaient pas vu, dissimulé par les arbustes, sinon ils m’auraient amené aussi. Puis les véhicules démarrèrent et passèrent devant moi. Je vis alors la pire chose vision de ma vie. A l’arrière du camion, mes parents ainsi que mes frères et s½urs assis au côté d’autres gens, que je ne connaissais pas, mais je pouvais dire assez facilement qu’ils étaient gitans. Mais il y avait une personne que je connaissais, oh oui, c’était elle, Isabella, ma isa…Le camion s’éloigna et disparut à l’horizon. Plus jamais je ne devais les revoir… »
Des larmes lui montaient aux yeux. Il tremblait également. Le souvenir était trop fortement ancré dans sa mémoire pour n’être qu’une situation parmi d’autres.
« Je n’appris que bien plus tard ce qu’ils faisaient aux gitans : le déportement, les camps, l’extermination finale…Je ne m’en suis jamais vraiment remis. Mais sur le coup, après avoir vérifié que j’étais bien seul aux alentours, je m’approcha de la voiture et monta dedans, bien décidé à rentrer chez moi. Ce que je fis, au prix de bien des calages. J’ais du mettre trois fois plus de temps que pour faire le trajet normal. Arrivé à notre propriété, je gara la voiture dans le garage et m’effondra de chagrin, en pleurs. Je suis resté plusieurs jours seul, à errer dans la bâtisse vide, essayant de planifier comment aller se passer mon avenir. J’avais à peine 12 ans, je venais de perdre ma famille ainsi que mon premier amour, et j’étais seul, totalement seul…
- Je suis désolé, je ne pensais pas que vous aviez vécu des moments aussi terribles. Je regrette…
- Oh non vous n’avez pas à regretter, vous n’y êtes pour rien. Je dois bien avouer que j’ai plus survécu que vécu pendant plusieurs années, entre la guerre et celles qui l’ont suivie. J’ai volé plusieurs, et je n’en suis pas fier, mais je n’avais pas d’argent, j’étais jeune et je n’ai pas travaillé tout de suite. En plus, on m’avait jeté dehors de chez moi. J’ai dormi plusieurs nuits sur la banquette arrière, et elle n’est pas vraiment confortable !
- Pourquoi ne pas avoir vendu la voiture ? elle devait avoir une certaine valeur encore, cela vous aurait rapporté de quoi vivre…
- Parce que ce véhicule représente le dernier souvenir de mes parents, ce qui me relie à eux. Elle avait déjà une grande valeur sentimentale, et pour rien au monde je l’aurais cédé. Ah ! Arles…ville antique…comme moi ! » dit-il un rigolant, quand il vit le panneau d’entrée de ville. « C’est ma seconde ville, je pourrais même dire ma seconde vie ! Après des années de survie, j’étais assez grand et fort pour travailler. Je trouva facilement un boulot de serveur puis je changeas souvent, au gré des mes envies et des opportunités qui se présentaient. Et puis, alors que j’avais une vingtaine d’année, je fis la deuxième merveilleuse rencontre de ma vie.
Ayant l’habitude de réparer ma voiture tout seul, manque d’argent oblige, je décrocha un emploi dans un garage, ici même, au centre vile d’Arles. Un beau matin de printemps, alors que j’avais le nez plongé dans un moteur, on vint sonner à la porte du garage. J’allais voir qui c’était, vu qu’on était fermé, et en ouvrant la porte, je restai figé par ce que je vis.
A l’encadrement de la porte, une femme, très belle, qui me dit que sa voiture avait fait un bruit bizarre et qu’elle ne marchait plus. Je ne réagis pas tout de suite, un peu comme devant Isabella des années plus tôt. Elle s’approcha de moi, comme pour vérifier que j’étais là, devant elle. Je pus voir ses yeux, auparavant cachés par des lunettes de soleil, et je fus envoûté par ce vert si pur, qui cadrait parfaitement avec sa chevelure brune et son teint pâle. Je revins à moi et lui dit que nous étions fermé, que je pouvais rien faire pour elle. Elle insista, prétextant qu’elle allait voir de la famille hospitalisée. Je ne pus refuser devant de tels arguments, et d’un autre côté, je n’avais jamais vraiment voulu refuser. Je lui répara sa voiture, un modèle récent, une Renault quatre chevaux Sedan. C’est drôle, en y repensant, nous avions tous les deux un modèle Sedan…Puis elle partit et je pensais ne plus jamais la revoir.
Quelques jours plus tard, de nouveau une sonnerie. J’allais ouvrir la porte et je la vis, dans la même posture que la première fois. Cela me fit un choc dans la poitrine. Elle était venue me remercier pour avoir réparé sa voiture, que sans moi elle n’y serait jamais arrivé et n’aurait pu voir son père une dernière fois avant son décès. Je ne savais quoi répondre. La seule chose que j’arrivai à dire, c’est lui demander si elle voulait qu’on aille déjeuner. Elle fut interloquée, mais accepta finalement. Et nous sommes restés mariés durant cinquante longues et belles années.
Pour chaque sortie, j’allais la chercher au volant de ma Ford, que je briquais avant pour qu’elle reste bien propre et brillante. Au bout du cinquième rendez-vous, alors que je la raccompagnais chez elle, nous nous sommes embrassés. Quelques temps après, alors que lui montrait le coin où nous allions plus jeunes aux saintes Maries de la Mer, nous avons fait l’amour, sur la banquette arrière, toujours aussi peu confortable du reste. Nous passâmes également de longues heures à parler, assis sur le capot, à regarder les étoiles.
Nous nous sommes mariés en août 1954. Vous êtes au volant de notre voiture de mariés, qui était magnifiquement décorée par ses soins. Nous avons ensuite eu des enfants, trois exactement, que nous amenions à des expositions de voitures anciennes, voire des défilés. Ca ne les amusait pas toujours, je l’avoue, mais parader au volant de cette voiture me remplissait de fierté et surtout me rappelait mes parents et ma famille, depuis trop longtemps déjà disparue.
Et chaque jour qui passe, je veille sur ce concentré de souvenirs. Encore plus depuis que ma femme est décédée à son tour. C’est vraiment tout ce qui me reste… »
A force de rouler, ils étaient revenus en vue de Lunel, après un périple qui leur avait tout de même prit plusieurs heures. Michaël était soulagé qu’ils soient presque arrivés et qu’il n’y ait eu aucun problème, mécanique ou autre. Après tout ce que lui avait raconté René, il s’en serait voulu qu’il ne survienne quoi que ce soit. Ils se garèrent dans la cour intérieure, à l’endroit même où ils avaient démarrés ce voyage dans le temps, et descendirent de la voiture.
« Alors, monsieur Fremont, comme je vous l’ais dit, elle est en parfait état de conservation. Si vous êtes toujours intéressé, elle est à vous.
- Monsieur, je suis désolé de vous avoir fait perdre votre temps, mais après tout ce que vous m’avez raconté, je ne peux pas vous la prendre. Elle représente tellement de choses pour vous que je ne peux vous en séparer comme ça. Elle et vous êtes liés, c’est votre vie qu’elle représente.
- Jeune homme, votre raisonnement est louable. Je vous remercie de vous soucier de moi mais, vous savez, je suis un vieux monsieur et j’arrive au terme de ma vie. Je souhaite ardemment que vous la preniez, car vous me semblez un garçon honnête, qui en prendra soin avec beaucoup de délicatesse. Je ne vous demanderais pas d’argent, juste que vous vous en occupiez comme si c’était votre enfant. Si je la gardais, elle mourrait avec moi, alors qu’avec vous, elle connaîtrait une seconde vie, et tous les souvenirs qu’elle a emmagasiné continueraient à survivre. Accordez moi cette dernière volonté je vous prie. »
Michaël accepta, et prit possession du véhicule chargé d’histoire. Peu de temps après, il voulut rappeler le vieux monsieur, pour lui annoncer que grâce à la Ford, il avait trouvé l’amour de sa vie. On lui apprit que la personne désirée était décédée depuis un certain moment. Il calcula et s’aperçut que celui qui se nommait René Fouchard était mort le soir même de la transaction. Comme si le fait de perdre sa voiture lui faisait perdre la vie…
Il ne le savait pas encore, mais ce jour-là, c’est une sorte de passation qui se réalisa. Et depuis, c’est lui qui vit beaucoup de choses, et principalement de belles choses, qu’il racontera peut-être un jour à un jeune qui aura vu une annonce dans un journal.