[ galerie ] Bribes de textes

[fractaleene]

La fièvre du lendemain

A l’image de la conscience, la passion creuse son lit et se démarque ainsi de l’émotion fugace, momentanée. La passion ignore les interruptions, les trêves, les intermittences. Un rire cristallin, quelques aphorismes, un regard pénétrant et tous ces éléments disparates qui composaient mes rêves juvéniles se sont soudainement imbriqués. Demain, je commence à vivre sans différer, sans ajourner. Je n’ai jamais aimé les adieux, je me suis donc éclipsée sans bruit et j’ai tourné la page sur des années d’une activité intensive quoique routinière. Demain, c’est un ailleurs, une insoluble inconnue qui succédera à un passé insubmersible et viendra le rejoindre en surimpression, sans l’évincer. La passion, c’est cette continuelle ébullition, ce fourmillement des sens, cette soif intarissable qui déferle et dissipe les doutes au risque d’ébranler la raison. Demain, c’est un paysage en mutation, un changement de décor, la rencontre d’anonymes et l’oubli de visages familiers. On ne m’avait pas dit qu’il faudrait tout quitter, on m’avait dissimulé les ruptures, on m’avait subtilisé les règles du jeu et il aura fallu que mon esprit effectue plusieurs révolutions avant que j’ose entrevoir la malice du réel et tous ses subterfuges, ses discours fallacieux, sa duplicité. Propriété exclusive d’un ineffable ne pouvant être appréhendé que par une intuition non discursive, la passion me confère cet indicible espoir qui me porte allègrement vers ce lendemain imminent, ce lendemain que le temps, démiurge omnipotent, m’accorde comme un sursis, un supplément dont il m’incombe de jouir sans modération. Demain, je défie mes bourreaux, la maladie qui m’entrave, les angoisses sourdes et latentes, la peur lovée dans les circonvolutions de ma mémoire. La passion est un mouvement irrépressible qui abhorre l’inertie. Il aura fallu cet éclat de rire insouciant pour me délester de cette existence timorée et de ces interrogations superflues qui me paralysaient. Un éclair de compréhension, une lueur complice, la vie qui afflue dans un spasme convulsif. Demain, je revendique mon humanité.

142857

J’ai découvert fortuitement les permutations circulaires de ce nombre singulier, 142857. On me questionnait hier encore quant à mon rapport aux Mathématiques, qui ne tenait plus alors qu’à un fil ténu. Auparavant, j’étais pourvue de cette « bosse » dont l’on affuble ces énergumènes férus d’algèbre et d’arithmétique. J’affirmais péremptoirement l’hégémonie des nombres et, aux sceptiques, je répliquais : « Gauss, Galois, Fermat, Nash, Cauchy, Euler !» Puis, j’ai développé une étrange allergie qui me fit toiser avec condescendance mes anciens alliés. Grâce à 142857, je renoue avec le plaisir de côtoyer ces nombres qui inspirent tant de réticences et sont devenus un motif de sélection au sein de la sphère scolaire. « Nuls en Maths, quel avenir ? », questionne-t-on aujourd’hui anxieusement, postulant de manière concomittante la présence d’un clivage « littéraires-matheux » franc, vision binaire soutenue par ceux qui craignent les nuances et réfutent une éventuelle conjonction de ces deux domaines apparemment irréconciliables. « Produit scalaire, polynômes, nombres imaginaires… ». Les littéraires sont malheureusement tenus en retrait des vérités dérangeantes telles que : i²= -1. Evitons les lieux-communs. Qui est vraiment réductible à une étiquette telle que « littéraire » ou « matheux » qui sonne comme une sentence irrévocable ? Les littéraires seraient-ils dépourvus de logique et les scientifiques de sensibilité artistique ? Je crois, en contemplant la magie des nombres et en considérant rétrospectivement mon parcours que les uns comme les autres sont soumis à un conditionnement préjudiciable. 142857, voilà une énigme que l’on devrait poser à des individus que l’on soupçonne d’être réfractaires à tout intérêt pour les nombres.

[Rêvelin]

Bravo, tu as une façon d'écrire, un style aux vocabulaire très recherché, c'est fluide mais très bien construit ... on a pas envie d'en ressortir !

Je suis d'accord pour les littéraires et de plus qu'y a t-il de plus poétique qu'une étoile et de plus poète qu'un astronome ?

De quelle passion exacte parles tu ? j'y vois une passion générale, comme transportée dans un domaine, puis retransmise dans un autre, une passion qui t'emporte et t'aide à vaincre une difficulté ...