L'évangile de Judas
Posté : jeu. août 30, 2007 9:11 pm
Sources :
- Le Monde des religions, Juillet-Août 2006, n°18, « l’Evangile de judas », Madeleine Scopello
- Site : l’Evangile de Judas
- Site : Cyberpress
Un évangile apocryphe récemment publié fait de Judas le contraire de l’apôtre félon auquel les Evangiles canoniques nous ont habitué.
Cet évangile a été publié partiellement en anglais (The gospel of Judas) par le National geographic society à Washington le 5 avril 2006. Ce document est signé « Judas » mais, comme bien des textes de la Bible, il n'a pas été rédigé par celui dont il porte le nom. C’est un apocryphe, c’est-à-dire un texte que son auteur resté anonyme a attribué à Judas, afin de mettre son écrit sous le patronage d’une figure d’autorité, même si c’est celle d’un personnage « négatif » Ce procédé d’attribution fictive d’un texte, déjà connu dans l’antiquité gréco-romaine, a été souvent employé par des auteurs juifs et chrétiens qui ont attribué leurs écrits à des figures mythiques ou à des personnages de l’entourage de Jésus. Ceci toutefois n’enlève rien à l’originalité du texte, ni à son intérêt.
Il s’agit d’un manuscrit sur papyrus découvert dans une grotte du désert de haute Égypte dans les années 70. Il comporte 25 feuillets en assez mauvais état. Il est passé de main en main dans le monde trouble des antiquaires. En 2001, Mario Jean Roberty achète le document pour la Fondation Maecenas, de Bâle, qu'il dirige. Il confie l'étude du texte à une équipe de chercheurs sous la direction du professeur Rodolphe Kasser. Le texte a été authentifié par la datation au carbone 14 et par l'analyse de l'encre du manuscrit. Le manuscrit est écrit en copte dialectal, l'antique langue des chrétiens d'Égypte. Il a été restauré et traduit par Rodolphe Kasser ancien professeur de coptologie à l'université de Genève.
L’évangile de Judas appartient de toute évidence à la mouvance de la gnose. A la fin du II siècle, Irénée, évêque de Lyon et pourfendeur des doctrines gnostiques, mentionne un « évangile de Judas » circulant dans un groupe de gnostiques dit « caïnite* », qui tenait Caïn en grande estime.
Le manuscrit copte de l’Evangile de Judas, plus récent de deux siècles, est la traduction d’un traité écrit en grec, attesté par la présence dans le texte copte, de termes techniques théologiques et philosophiques. Le texte grec, perdu, a dû être composé au cours du II siècle, date envisageable par le contenu du traité. L’hypothèse selon laquelle il s’agirait du texte dont fait mention Irénée est tout à fait probable, même si les textes pouvaient subir des modifications et des réécritures, en passant de main en main.
L’Evangile de Judas élabore une série de thèmes et motifs gnostiques, tant du point de vue de la forme que de celui du contenu. Dans ce texte, l’enseignement caché du Christ est coulé dans un dialogue avec les disciples, trois jours après la célébration de la Pâque, et qui s’étend sur une semaine. Si les questions posées par les disciples et Judas sont brèves, les réponses sont longues et constituent des exposés de doctrine bien tournés.
La théologie de cet Evangile est construite sur l’opposition entre Dieu transcendant et parfait, et un démiurge, responsable d’une création défectueuse qu’il a réalisée par une imitation mal réussie du monde divin.
Mais que nous conte donc cet Evangile ???
Ici, c’est le corps de Jésus qui est mis en vedette, paradigme du corps de chaque être humain, qui ne peut atteindre la connaissance suprême que par son annihilation. Ainsi jésus dit à Judas : « Tu surpasseras tous les autres (entendez ici les puissances négatives de l’univers), car tu sacrifieras l'homme qui me sert d'habit »
C’est le corps charnel, l’enveloppe, le vêtement selon d’autres métaphores courantes dans les documents gnostiques, que, sur l’invitation expresse de Jésus, Judas doit sacrifier. Ainsi l’acte de la trahison suprême de Judas à l’égard du Christ est relu, dans une bouleversante ré interprétation, comme l’acte de fidélité absolue du disciple le plus aimé en raison de sa capacité de connaissance.
La théorie du Christ en tant qu’entité divine préexistante sous-tend cette interprétation. Le Christ est un être céleste qui, selon certains gnostiques, n’a revêtu qu’un corps apparent, et n’a donc pu souffrir sa Passion. Sa mise à mort, ses souffrances sur la croix, n’ont été qu’une feinte vis-à-vis des puissances, maîtresses du monde, pour les convaincre qu’elles ont eu gain de cause (thème également élaboré dans l’Apocalypse de Pierre de Nag Hammadi)
Dans l’Evangile de Judas toutefois, la perspective est quelque peu différente. Jésus, comme tout individu, a un corps de chair qui est sien pendant la période de sa vie sur terre. Son retour au monde divin aura lieu après avoir quitté ce carcan provisoire qui lui est fondamentalement étranger. Judas est le moyen par lequel cette libération extrême se réalise. Nous sommes donc bien loin de l’acte de trahison, en échange de quelque argent, raconté dans les Evangiles canoniques. Ici la livraison par Judas est une mise en scène décidée par Jésus lui-même, conscient, selon ce traité, du poids de la malédiction qui va alors peser sur les épaules de Judas : « Tu seras maudit par les autres générations »
Maudit aux yeux du monde, Judas touche toutefois une récompense immédiate pour sa fidélité. Jésus l’invite à lever les yeux et à contempler un nuage de lumière entouré d’étoiles. L’étoile la plus brillante étant celle de l’apôtre.
Comment expliquer ce retournement total de la figure de Judas par rapport à la tradition évangélique dans un texte du II siècle, traduit et donc lu, au IV siècle par des gnostiques établis en Egypte ??? Dans quelques-uns des extraits transmis par les Pères de l’Eglise, certains gnostiques avaient tendance à réévaluer des figures tenues pour négatives par la Bible, parmi lesquelles Caïn et les habitants des villes maudites, Sodome et Gomorrhe. Ceci s’explique par le rejet de la figure du démiurge, devenu à leurs yeux un dieu méchant, à qui ces personnages, individuels et collectifs, avaient désobéi. Sous cet angle, Judas devient ainsi le symbole d’une résistance exacerbée contre la Grande Eglise qui va bientôt triompher des dissidences nées en son sein.
QUe pensez vous de ces découvertes récentes? Condamné par l'Eglise (encore! ) , pour vous, remettent-elles en question les valeur du christianisme tel qu'il nous a été inculqué? Quelle est la valeur que vous donnez aux apocryphe par rapport aux écrit mentionnés comme non hérétique de cette religion (les 4 évangiles par exemple)?
- Le Monde des religions, Juillet-Août 2006, n°18, « l’Evangile de judas », Madeleine Scopello
- Site : l’Evangile de Judas
- Site : Cyberpress
Un évangile apocryphe récemment publié fait de Judas le contraire de l’apôtre félon auquel les Evangiles canoniques nous ont habitué.
Cet évangile a été publié partiellement en anglais (The gospel of Judas) par le National geographic society à Washington le 5 avril 2006. Ce document est signé « Judas » mais, comme bien des textes de la Bible, il n'a pas été rédigé par celui dont il porte le nom. C’est un apocryphe, c’est-à-dire un texte que son auteur resté anonyme a attribué à Judas, afin de mettre son écrit sous le patronage d’une figure d’autorité, même si c’est celle d’un personnage « négatif » Ce procédé d’attribution fictive d’un texte, déjà connu dans l’antiquité gréco-romaine, a été souvent employé par des auteurs juifs et chrétiens qui ont attribué leurs écrits à des figures mythiques ou à des personnages de l’entourage de Jésus. Ceci toutefois n’enlève rien à l’originalité du texte, ni à son intérêt.
Il s’agit d’un manuscrit sur papyrus découvert dans une grotte du désert de haute Égypte dans les années 70. Il comporte 25 feuillets en assez mauvais état. Il est passé de main en main dans le monde trouble des antiquaires. En 2001, Mario Jean Roberty achète le document pour la Fondation Maecenas, de Bâle, qu'il dirige. Il confie l'étude du texte à une équipe de chercheurs sous la direction du professeur Rodolphe Kasser. Le texte a été authentifié par la datation au carbone 14 et par l'analyse de l'encre du manuscrit. Le manuscrit est écrit en copte dialectal, l'antique langue des chrétiens d'Égypte. Il a été restauré et traduit par Rodolphe Kasser ancien professeur de coptologie à l'université de Genève.
L’évangile de Judas appartient de toute évidence à la mouvance de la gnose. A la fin du II siècle, Irénée, évêque de Lyon et pourfendeur des doctrines gnostiques, mentionne un « évangile de Judas » circulant dans un groupe de gnostiques dit « caïnite* », qui tenait Caïn en grande estime.
Le manuscrit copte de l’Evangile de Judas, plus récent de deux siècles, est la traduction d’un traité écrit en grec, attesté par la présence dans le texte copte, de termes techniques théologiques et philosophiques. Le texte grec, perdu, a dû être composé au cours du II siècle, date envisageable par le contenu du traité. L’hypothèse selon laquelle il s’agirait du texte dont fait mention Irénée est tout à fait probable, même si les textes pouvaient subir des modifications et des réécritures, en passant de main en main.
L’Evangile de Judas élabore une série de thèmes et motifs gnostiques, tant du point de vue de la forme que de celui du contenu. Dans ce texte, l’enseignement caché du Christ est coulé dans un dialogue avec les disciples, trois jours après la célébration de la Pâque, et qui s’étend sur une semaine. Si les questions posées par les disciples et Judas sont brèves, les réponses sont longues et constituent des exposés de doctrine bien tournés.
La théologie de cet Evangile est construite sur l’opposition entre Dieu transcendant et parfait, et un démiurge, responsable d’une création défectueuse qu’il a réalisée par une imitation mal réussie du monde divin.
Mais que nous conte donc cet Evangile ???
Ici, c’est le corps de Jésus qui est mis en vedette, paradigme du corps de chaque être humain, qui ne peut atteindre la connaissance suprême que par son annihilation. Ainsi jésus dit à Judas : « Tu surpasseras tous les autres (entendez ici les puissances négatives de l’univers), car tu sacrifieras l'homme qui me sert d'habit »
C’est le corps charnel, l’enveloppe, le vêtement selon d’autres métaphores courantes dans les documents gnostiques, que, sur l’invitation expresse de Jésus, Judas doit sacrifier. Ainsi l’acte de la trahison suprême de Judas à l’égard du Christ est relu, dans une bouleversante ré interprétation, comme l’acte de fidélité absolue du disciple le plus aimé en raison de sa capacité de connaissance.
La théorie du Christ en tant qu’entité divine préexistante sous-tend cette interprétation. Le Christ est un être céleste qui, selon certains gnostiques, n’a revêtu qu’un corps apparent, et n’a donc pu souffrir sa Passion. Sa mise à mort, ses souffrances sur la croix, n’ont été qu’une feinte vis-à-vis des puissances, maîtresses du monde, pour les convaincre qu’elles ont eu gain de cause (thème également élaboré dans l’Apocalypse de Pierre de Nag Hammadi)
Dans l’Evangile de Judas toutefois, la perspective est quelque peu différente. Jésus, comme tout individu, a un corps de chair qui est sien pendant la période de sa vie sur terre. Son retour au monde divin aura lieu après avoir quitté ce carcan provisoire qui lui est fondamentalement étranger. Judas est le moyen par lequel cette libération extrême se réalise. Nous sommes donc bien loin de l’acte de trahison, en échange de quelque argent, raconté dans les Evangiles canoniques. Ici la livraison par Judas est une mise en scène décidée par Jésus lui-même, conscient, selon ce traité, du poids de la malédiction qui va alors peser sur les épaules de Judas : « Tu seras maudit par les autres générations »
Maudit aux yeux du monde, Judas touche toutefois une récompense immédiate pour sa fidélité. Jésus l’invite à lever les yeux et à contempler un nuage de lumière entouré d’étoiles. L’étoile la plus brillante étant celle de l’apôtre.
Comment expliquer ce retournement total de la figure de Judas par rapport à la tradition évangélique dans un texte du II siècle, traduit et donc lu, au IV siècle par des gnostiques établis en Egypte ??? Dans quelques-uns des extraits transmis par les Pères de l’Eglise, certains gnostiques avaient tendance à réévaluer des figures tenues pour négatives par la Bible, parmi lesquelles Caïn et les habitants des villes maudites, Sodome et Gomorrhe. Ceci s’explique par le rejet de la figure du démiurge, devenu à leurs yeux un dieu méchant, à qui ces personnages, individuels et collectifs, avaient désobéi. Sous cet angle, Judas devient ainsi le symbole d’une résistance exacerbée contre la Grande Eglise qui va bientôt triompher des dissidences nées en son sein.
QUe pensez vous de ces découvertes récentes? Condamné par l'Eglise (encore! ) , pour vous, remettent-elles en question les valeur du christianisme tel qu'il nous a été inculqué? Quelle est la valeur que vous donnez aux apocryphe par rapport aux écrit mentionnés comme non hérétique de cette religion (les 4 évangiles par exemple)?