Ma lettre à Bernard Werber
Posté : mar. juil. 31, 2007 6:49 pm
Voici le courrier que j'ai envoyé à Werber, aux alentours de fin avril. Bien évidement et comme j' m'y attendais, je n'ai eu aucune réponse. Dites moi ce que vous en pensez ...
Bernard Werber,
Cela fait maintenant quelques temps que je me suis penché sur vos écrits, vous, vos projets et votre film.
Il y a bien à dire tant votre ¼uvre est vaste, différente et très complexe. Ce courrier sera long, et quand bien même je sais que le temps vous fait défaut et que vous ne pouvez pas lire tous les messages que vous recevez, et disposez encore moins de temps pour y répondre, je tenais absolument à vous faire savoir le fond de ma pensée vous concernant.
Dans la mesure que je sais que vous êtes un homme curieux, je vais vous relater quelques détails qui ont fait que je vous ai connu.
Je dois le reconnaître, il y a de cela quelques années et en dépit du fait que je suis un gros lecteur, je ne connaissais pas votre existence, rien, le néant complet. La première fois que j’avais entendu parlé de vous c’était lors de la sortie d’un jeu d’ordinateur reprenant l’univers des fourmis. Bref, un ami m’en a parlé, il vous a encensé d’éloges (ce qui un pur pléonasme montrant à quel point il vous vénère) disant que vous étiez un GRAND auteur français, GENIALISSIME et autres laudatifs. J’ai longtemps résisté à acheter un de vos livres par esprit de contradiction, et puis, le temps faisant, j’ai commencé par les Thanatonautes.
Quelle fut ma surprise !
Le livre m’a fait l’effet d’une claque.
Heureusement que je ne me tenais pas sur une chaise lorsque j’ai ouvert pour la première fois votre livre parce que sinon je serais tombé.
J’ai englouti tous les Asimov, dévoré Verne, absorbé Silverberg, Clarke, Sturgeon, Bradbury,, Pohl, Simak, Pullman, King, Herbert, à chaque fois j’ai soit aimé, adoré, été stupéfait, déçu, emporté, fatigué, subjugué, émerveillé. Mais vous, votre livre ne m’a fait rien de tout cela. L’originalité du roman est telle que j’ai étais incapable d’établir une comparaison, de comprendre toute la finalité de l’½uvre.
Toutefois, une chose est certaine, j’ai aimé, sans quoi je n’aurais pas acquis l’empire des anges pour le lire.
Comme je l’ai dis, votre style, le scénario et les personnages me laissent perplexe. Si on prend chaque élément séparément, ça semble maigre, flasque et inconsistant. Mais par je ne sais quel talent, vous arrivez à goupiller tout ça pour créer un tout dont qui est supérieur, bien supérieur, à la somme des parties.
Ce qui nous amène à cette fameuse formule que vous chérissez tant : 1+1=3. Etant cartésien, j’ai bien ri en voyant cette étrange équation pour la première fois. La lecture de vos livres m’a cependant apporté une compréhension accrue, une perception du monde différente. Ainsi, il demeure toujours cette idée de perfection, ou du moins l’amélioration : tant dans le progrès de notre mentalité, de notre âme, de notre société et de notre univers. Et puisqu’on parle d’élévation, il faut bien parler des strates supérieures.
Ce fut non sans un soupçon d’excitation et d’impatience que je me suis procuré Nous les Dieux. Votre nouvelle « L’école des jeunes dieux » de l’arbre des possibles m’avait mis l’eau à la bouche et je me demandais bien comment vous aviez pu tenir un roman entier.
J’ai lu.
Ma perplexité s’en retrouva renforcée. Je m’explique.
Vous avez cette volonté de modifier la conscience des gens qui vous lisent, ce faisant, vos livres ne sont plus des récits, mais des outils oeuvrant à l’épanouissement des gens. Et c’est là que les choses me tracassent. Votre style est « simple », l’intrigue relativement prévisible et les personnages ont une psychologie un peu naïve, pas très poussée ni très crédible, juste ce qu’il faut pour faire passer votre message. Voilà donc le fondement de mon choc lorsque je vous ai découvert : je m’apprêtais à lire un livre standard avec trame et personnages précis et se déroulant tranquillement mais au lieu de ça, j’avais un livre moyen, qui ne valait pas grand-chose et qui, certes était distrayant mais, ne se démarquait pas du lot.
Néanmoins, j’ai toujours eu cette indicible impression que tout se passait à une autre échelle, à une autre dimension. Le problème qui me gène tant dans vos ½uvres et qu’elles sont des éternelles intermédiaires : ni livres, ni ½uvre philosophique à part entière ?
Cela engendre un sentiment d’inabouti, imparfait bien que plaisant. On se dit « dommage ».
Vint le Papillon des étoiles.
Cette fois-ci, c’était clair.
Je suis navré de le dire aussi crûment, mais j’ai trouvé votre livre lamentable. L’idée d’un vaisseau générationnel n’a pas été très exploitée par la Science-fiction en générale et j’attendais beaucoup, j’étais curieux de savoir ce que vous en feriez. Vous avez gâché une occasion de concevoir un récit captivant. Vous avez préféré faire pencher la balance pour l’½uvre philosophique.
Alors après ma critique de lecteur invétéré, que nous mettrons de côté un temps, voici celle du sage éclairée.
Le livre est parfait pour montrer aux gens que nous fonçons droit dans le mur. Il montre à quel point les humains sont stupides et que notre civilisation est un instrument qui peut s’avérer dangereux et difficilement manipulable. Même si c’est un peu lâche de dire qu’il faut partir, l’image est suffisamment forte pour faire comprendre aux gens que nous nous trompons de chemin. Et pour cela, je vous félicite car vous avez brillamment transmis votre message. La fin est magnifique, avec la renaissance de l’humanité, montrant que le cycle est omniprésent et qu’il ne faut pas s’acharner à demeurer engluer dans le même système.
Revenons au lecteur inconditionnel de SF. La déliquescence décrite dans le Papillon des étoiles est à l’image de votre style et de vos personnages ; simplifiée. Vous prenez les grosses ficelles et optez pour la faciliter, alors qu’en fait notre monde et les relations humaines sont autrement plus complexes. De même pour la société qui s’organise dans le vaisseau, une fois encore vous faites l’erreur de ne pas imaginer comment cela se déroulerait réellement, pour insérer votre opinion sur la hiérarchie humaine et ainsi tourner le récit de telle manière qu’on aboutisse à l’effet escompté. Mille ans résumé en quelques pages … c’en est presque navrant, surtout vu ce qu’il se passe durant ce laps de temps.
Vous avez une espèce de fascination pour la redondance de l’émergence de l’humanité, et ce schéma se retrouve un peu partout dans vos ½uvres. Dans le cycle des dieux, j’ai hurlé de rage et de déception lorsque j’ai compris que c’était notre propre histoire du monde qui se reproduisait. Il aurait été si intéressant d’essayer de concevoir un autre monde, de voir quelle autre forme l’histoire allait prendre. Au lieu de ça, vous reprenez le schéma du développement de l’humanité que l’on retrouve dans le vaisseau du Papillon des étoiles et votre film Nos amis les terriens. Plus de suspens !
A ce propos.
Je l’ai vu votre film, votre OFNI.
Et bien figurez vous que j’en suis arrivé à un tel point que je ne sais pas si je dois vous considérer comme un homme éclairé et novateur, ou comme un homme échouant dans ce qu’il entreprend.
Il se trouve qu’en plus d’être un lecteur averti, je suis un grand cinéphile. Cinématographiquement parlant, c’est propre, c’est soigné, les plans sont élégants et les décors réussis. Le jeu des acteurs est un point noir car certains comédiens ne jouaient pas vraiment bien, il faut le dire. Lorsque la femme se fait trouer la jambe, la souffrance est mal jouée, vraiment mal. Les plans de Montmartre sont de bonnes illustrations, mais le fait que se soit des zooms et un peu dommage, quoi que d’un certain côté cela appuie l’idée du documentaire.
Une fois encore, le scénario est moyen. Mais ce n’est là qu’un défaut mineur du film.
J’ignore si vous vous souvenez de moi, mais j’étais à Bordeaux lorsque vous faisiez la promotion à la Fnac (grand type à lunette et chemise rouge … peu importe) ; et je vous avais demandé comment la « révolution » ou plutôt la prise de conscience pourrait émerger si l’on ne montrer que le quotidien et des choses que l’on connaissait d’avance. Vous m’avez alors répondu que Marx s’était contenté de décrire la société pour montrer certains travers et que cela avait permis à une masse de personne d’agir. Vous avez également précisé que le film était du point de vue des extraterrestres, donc que l’analyse serait forcement différente.
Seulement, Marx a fait un peu plus que de dire que les ouvriers avaient des ongles, que les usines fumaient de gros panaches tout noirs et que les propriétaires étaient de méchants exploiteurs. Vous vous êtes contenté du minimum, et une fois de plus vous avez simplifié les comportements. Dans le film, la cage est une micro société ; vous vous êtes à nouveau senti obligé de retracer l’histoire de l’humanité avec le couple, puis l’agrandissement, l’augmentation de la population et la mises en place d’une hiérarchie, ensuite le rapport à la mort. Le film est humoristique et le développement intéressant, hélas erroné. Il suffit de s’y connaître un tout petit peu en psychologie sociale, en sociologie et psychologie pour savoir que les choses se passeraient réellement d’une autre manière. Mais l’erreur la plus significative et qui soulève une contradiction très gênante selon moi c’est que d’un côté vous tenez comme discours celui défendant l’idée d’un documentaire analysant le comportement des HUMAINS et que vous reproduisait comme schéma hiérarchique celui des RATS.
Votre film a pour but de nous faire prendre conscience de détails de notre vie et de mettre en lumière des comportements qui nous paraissent normaux. Ne pensez-vous pas que pour arriver à ce résultat il eut été plus préférable de décrire les humains plutôt que d’insérer à nouveau votre façon de voir les choses ?
Je doute que Marx ait décrit le fonctionnement de la société industriel d’Amérique centrale. Je ne pense pas non plus que Tocqueville ait habillé son analyse de l’Amérique d’idéaux européens pour arrivez à un résultat espéré.
De plus, votre erreur revêt une importance d’autant plus grave que vous êtes un scientifique. Tout scientifique sait qu’il ne faut pas intervenir dans l’expérience pour ne pas fausser les résultats : c’est le célèbre principe d’incertitude d’Heisenberg. Or, dans votre film les ET interviennent le moins qu’ils peuvent, mais vous, vous étiez le dieu du film et avait décidé de calquer les relations dans la cage sur celles des rats. Je n’irais pas jusqu’à dire que votre film est raté mais ce n’est pas loin.
Ce point devient un paradoxe énorme, puisque vous dénoncez les documentaires animaliers qui truquent les reportages en truquant votre film.
Je sais que vous tenez à cette simplicité, pour toucher le maximum de gens et assurer la pérennité de votre ¼uvre dans la Culture. Force est de constater que vous êtes irrémédiablement humain, donc imparfait, et enclin aux erreurs. J’ignore si celle-ci vous sera préjudiciable, en tout cas je la considère comme suffisamment importante pour vous faire part de mon désappointement le plus profond.
A partir de maintenant, je m’avance dans l’hypothétique.
Je pense que vous entretenez une trop haute opinion de vous-même. Vous semblez absolument vouloir guider les gens, c’est tout à votre honneur, cependant, ce n’est pas parce vous les guider que vous leur êtes supérieur. J’ai remarqué ça en parcourant vos interviews et notamment lorsque je vous ai vu à Bordeaux. En gros, vous tenez ce message : « Le monde est dans un sal état, les gens ne se rendent compte de rien, alors moi avec toute ma sagesse et mon savoir, je vais les guider. » Je pense donc que vous croyez que les gens ne savent pas très bien ce qu’ils font, et qu’ils se concentrent sur des futilités et engendre des conflits à cause de ça. Et vous semblez même jouer avec cela. En fait, s’il y a tant de personnes qui vous achètent et lisent vos livres, c’est parce qu’ils aspirent à une amélioration de nos conditions et la mentalité en générale. Je suis désolé de vous le dire, mais je pense que vous ne guidez personne, vous ne créez qu’un mouvement fédérateur, redonnant espoir aux gens.
Notez que c’est là mon opinion et qu’il est parfaitement possible que je me fourvoie totalement. Cependant, c’est ce que je pense et je tenais à vous en faire part pour vous aider, si je puis dire. Sans doute est-ce hautain de penser que je puisse vous aider. Qu’importe …
En effet, j’ai constaté la manière dont vous avez de parler des critiques, disant qu’elles « ne vous comprennent pas ». Vous vous appuyez trop sur vos succès passés pour justifier vos ½uvres présentes, et c’est néfaste car l’originalité s’en retrouve altérée. C’est encore une erreur de votre part d’en faire fit car les avis divergents sont généralement bien plus riches de renseignements que les éloges. L’erreur est le meilleur des apprentissages.
J’espère ne pas mettre montré trop incisif dans ma critique. Sachez tout de même que je continuerai à vous lire. J’ai grandement apprécié l’Ultime secret et l’Encyclopédie. J’ai récemment acheté la trilogie des fourmis, et à terme je me procurerai le livre du voyage et le père de nos pères.
En somme voilà comment je résumerais l’opinion que j’ai de vous : vous m’avez subjugué par Les Thanatonautes, me transformant en fan, cependant, ma ferveur décline à mesure que vous avancez dans vos travaux, que je trouve de qualité décroissante.
Sur ce, ce termine mon courrier. J’espère sincèrement que vous avez tout lu et que je vous ai interpellé comme vous l’avez fait pour moi. J’espère également avoir une réponse, si courte et si informelle soit-elle.
Avec toute la sympathie, la cordialité et l’admiration que j’ai pour vous.
Ostramus
Bernard Werber,
Cela fait maintenant quelques temps que je me suis penché sur vos écrits, vous, vos projets et votre film.
Il y a bien à dire tant votre ¼uvre est vaste, différente et très complexe. Ce courrier sera long, et quand bien même je sais que le temps vous fait défaut et que vous ne pouvez pas lire tous les messages que vous recevez, et disposez encore moins de temps pour y répondre, je tenais absolument à vous faire savoir le fond de ma pensée vous concernant.
Dans la mesure que je sais que vous êtes un homme curieux, je vais vous relater quelques détails qui ont fait que je vous ai connu.
Je dois le reconnaître, il y a de cela quelques années et en dépit du fait que je suis un gros lecteur, je ne connaissais pas votre existence, rien, le néant complet. La première fois que j’avais entendu parlé de vous c’était lors de la sortie d’un jeu d’ordinateur reprenant l’univers des fourmis. Bref, un ami m’en a parlé, il vous a encensé d’éloges (ce qui un pur pléonasme montrant à quel point il vous vénère) disant que vous étiez un GRAND auteur français, GENIALISSIME et autres laudatifs. J’ai longtemps résisté à acheter un de vos livres par esprit de contradiction, et puis, le temps faisant, j’ai commencé par les Thanatonautes.
Quelle fut ma surprise !
Le livre m’a fait l’effet d’une claque.
Heureusement que je ne me tenais pas sur une chaise lorsque j’ai ouvert pour la première fois votre livre parce que sinon je serais tombé.
J’ai englouti tous les Asimov, dévoré Verne, absorbé Silverberg, Clarke, Sturgeon, Bradbury,, Pohl, Simak, Pullman, King, Herbert, à chaque fois j’ai soit aimé, adoré, été stupéfait, déçu, emporté, fatigué, subjugué, émerveillé. Mais vous, votre livre ne m’a fait rien de tout cela. L’originalité du roman est telle que j’ai étais incapable d’établir une comparaison, de comprendre toute la finalité de l’½uvre.
Toutefois, une chose est certaine, j’ai aimé, sans quoi je n’aurais pas acquis l’empire des anges pour le lire.
Comme je l’ai dis, votre style, le scénario et les personnages me laissent perplexe. Si on prend chaque élément séparément, ça semble maigre, flasque et inconsistant. Mais par je ne sais quel talent, vous arrivez à goupiller tout ça pour créer un tout dont qui est supérieur, bien supérieur, à la somme des parties.
Ce qui nous amène à cette fameuse formule que vous chérissez tant : 1+1=3. Etant cartésien, j’ai bien ri en voyant cette étrange équation pour la première fois. La lecture de vos livres m’a cependant apporté une compréhension accrue, une perception du monde différente. Ainsi, il demeure toujours cette idée de perfection, ou du moins l’amélioration : tant dans le progrès de notre mentalité, de notre âme, de notre société et de notre univers. Et puisqu’on parle d’élévation, il faut bien parler des strates supérieures.
Ce fut non sans un soupçon d’excitation et d’impatience que je me suis procuré Nous les Dieux. Votre nouvelle « L’école des jeunes dieux » de l’arbre des possibles m’avait mis l’eau à la bouche et je me demandais bien comment vous aviez pu tenir un roman entier.
J’ai lu.
Ma perplexité s’en retrouva renforcée. Je m’explique.
Vous avez cette volonté de modifier la conscience des gens qui vous lisent, ce faisant, vos livres ne sont plus des récits, mais des outils oeuvrant à l’épanouissement des gens. Et c’est là que les choses me tracassent. Votre style est « simple », l’intrigue relativement prévisible et les personnages ont une psychologie un peu naïve, pas très poussée ni très crédible, juste ce qu’il faut pour faire passer votre message. Voilà donc le fondement de mon choc lorsque je vous ai découvert : je m’apprêtais à lire un livre standard avec trame et personnages précis et se déroulant tranquillement mais au lieu de ça, j’avais un livre moyen, qui ne valait pas grand-chose et qui, certes était distrayant mais, ne se démarquait pas du lot.
Néanmoins, j’ai toujours eu cette indicible impression que tout se passait à une autre échelle, à une autre dimension. Le problème qui me gène tant dans vos ½uvres et qu’elles sont des éternelles intermédiaires : ni livres, ni ½uvre philosophique à part entière ?
Cela engendre un sentiment d’inabouti, imparfait bien que plaisant. On se dit « dommage ».
Vint le Papillon des étoiles.
Cette fois-ci, c’était clair.
Je suis navré de le dire aussi crûment, mais j’ai trouvé votre livre lamentable. L’idée d’un vaisseau générationnel n’a pas été très exploitée par la Science-fiction en générale et j’attendais beaucoup, j’étais curieux de savoir ce que vous en feriez. Vous avez gâché une occasion de concevoir un récit captivant. Vous avez préféré faire pencher la balance pour l’½uvre philosophique.
Alors après ma critique de lecteur invétéré, que nous mettrons de côté un temps, voici celle du sage éclairée.
Le livre est parfait pour montrer aux gens que nous fonçons droit dans le mur. Il montre à quel point les humains sont stupides et que notre civilisation est un instrument qui peut s’avérer dangereux et difficilement manipulable. Même si c’est un peu lâche de dire qu’il faut partir, l’image est suffisamment forte pour faire comprendre aux gens que nous nous trompons de chemin. Et pour cela, je vous félicite car vous avez brillamment transmis votre message. La fin est magnifique, avec la renaissance de l’humanité, montrant que le cycle est omniprésent et qu’il ne faut pas s’acharner à demeurer engluer dans le même système.
Revenons au lecteur inconditionnel de SF. La déliquescence décrite dans le Papillon des étoiles est à l’image de votre style et de vos personnages ; simplifiée. Vous prenez les grosses ficelles et optez pour la faciliter, alors qu’en fait notre monde et les relations humaines sont autrement plus complexes. De même pour la société qui s’organise dans le vaisseau, une fois encore vous faites l’erreur de ne pas imaginer comment cela se déroulerait réellement, pour insérer votre opinion sur la hiérarchie humaine et ainsi tourner le récit de telle manière qu’on aboutisse à l’effet escompté. Mille ans résumé en quelques pages … c’en est presque navrant, surtout vu ce qu’il se passe durant ce laps de temps.
Vous avez une espèce de fascination pour la redondance de l’émergence de l’humanité, et ce schéma se retrouve un peu partout dans vos ½uvres. Dans le cycle des dieux, j’ai hurlé de rage et de déception lorsque j’ai compris que c’était notre propre histoire du monde qui se reproduisait. Il aurait été si intéressant d’essayer de concevoir un autre monde, de voir quelle autre forme l’histoire allait prendre. Au lieu de ça, vous reprenez le schéma du développement de l’humanité que l’on retrouve dans le vaisseau du Papillon des étoiles et votre film Nos amis les terriens. Plus de suspens !
A ce propos.
Je l’ai vu votre film, votre OFNI.
Et bien figurez vous que j’en suis arrivé à un tel point que je ne sais pas si je dois vous considérer comme un homme éclairé et novateur, ou comme un homme échouant dans ce qu’il entreprend.
Il se trouve qu’en plus d’être un lecteur averti, je suis un grand cinéphile. Cinématographiquement parlant, c’est propre, c’est soigné, les plans sont élégants et les décors réussis. Le jeu des acteurs est un point noir car certains comédiens ne jouaient pas vraiment bien, il faut le dire. Lorsque la femme se fait trouer la jambe, la souffrance est mal jouée, vraiment mal. Les plans de Montmartre sont de bonnes illustrations, mais le fait que se soit des zooms et un peu dommage, quoi que d’un certain côté cela appuie l’idée du documentaire.
Une fois encore, le scénario est moyen. Mais ce n’est là qu’un défaut mineur du film.
J’ignore si vous vous souvenez de moi, mais j’étais à Bordeaux lorsque vous faisiez la promotion à la Fnac (grand type à lunette et chemise rouge … peu importe) ; et je vous avais demandé comment la « révolution » ou plutôt la prise de conscience pourrait émerger si l’on ne montrer que le quotidien et des choses que l’on connaissait d’avance. Vous m’avez alors répondu que Marx s’était contenté de décrire la société pour montrer certains travers et que cela avait permis à une masse de personne d’agir. Vous avez également précisé que le film était du point de vue des extraterrestres, donc que l’analyse serait forcement différente.
Seulement, Marx a fait un peu plus que de dire que les ouvriers avaient des ongles, que les usines fumaient de gros panaches tout noirs et que les propriétaires étaient de méchants exploiteurs. Vous vous êtes contenté du minimum, et une fois de plus vous avez simplifié les comportements. Dans le film, la cage est une micro société ; vous vous êtes à nouveau senti obligé de retracer l’histoire de l’humanité avec le couple, puis l’agrandissement, l’augmentation de la population et la mises en place d’une hiérarchie, ensuite le rapport à la mort. Le film est humoristique et le développement intéressant, hélas erroné. Il suffit de s’y connaître un tout petit peu en psychologie sociale, en sociologie et psychologie pour savoir que les choses se passeraient réellement d’une autre manière. Mais l’erreur la plus significative et qui soulève une contradiction très gênante selon moi c’est que d’un côté vous tenez comme discours celui défendant l’idée d’un documentaire analysant le comportement des HUMAINS et que vous reproduisait comme schéma hiérarchique celui des RATS.
Votre film a pour but de nous faire prendre conscience de détails de notre vie et de mettre en lumière des comportements qui nous paraissent normaux. Ne pensez-vous pas que pour arriver à ce résultat il eut été plus préférable de décrire les humains plutôt que d’insérer à nouveau votre façon de voir les choses ?
Je doute que Marx ait décrit le fonctionnement de la société industriel d’Amérique centrale. Je ne pense pas non plus que Tocqueville ait habillé son analyse de l’Amérique d’idéaux européens pour arrivez à un résultat espéré.
De plus, votre erreur revêt une importance d’autant plus grave que vous êtes un scientifique. Tout scientifique sait qu’il ne faut pas intervenir dans l’expérience pour ne pas fausser les résultats : c’est le célèbre principe d’incertitude d’Heisenberg. Or, dans votre film les ET interviennent le moins qu’ils peuvent, mais vous, vous étiez le dieu du film et avait décidé de calquer les relations dans la cage sur celles des rats. Je n’irais pas jusqu’à dire que votre film est raté mais ce n’est pas loin.
Ce point devient un paradoxe énorme, puisque vous dénoncez les documentaires animaliers qui truquent les reportages en truquant votre film.
Je sais que vous tenez à cette simplicité, pour toucher le maximum de gens et assurer la pérennité de votre ¼uvre dans la Culture. Force est de constater que vous êtes irrémédiablement humain, donc imparfait, et enclin aux erreurs. J’ignore si celle-ci vous sera préjudiciable, en tout cas je la considère comme suffisamment importante pour vous faire part de mon désappointement le plus profond.
A partir de maintenant, je m’avance dans l’hypothétique.
Je pense que vous entretenez une trop haute opinion de vous-même. Vous semblez absolument vouloir guider les gens, c’est tout à votre honneur, cependant, ce n’est pas parce vous les guider que vous leur êtes supérieur. J’ai remarqué ça en parcourant vos interviews et notamment lorsque je vous ai vu à Bordeaux. En gros, vous tenez ce message : « Le monde est dans un sal état, les gens ne se rendent compte de rien, alors moi avec toute ma sagesse et mon savoir, je vais les guider. » Je pense donc que vous croyez que les gens ne savent pas très bien ce qu’ils font, et qu’ils se concentrent sur des futilités et engendre des conflits à cause de ça. Et vous semblez même jouer avec cela. En fait, s’il y a tant de personnes qui vous achètent et lisent vos livres, c’est parce qu’ils aspirent à une amélioration de nos conditions et la mentalité en générale. Je suis désolé de vous le dire, mais je pense que vous ne guidez personne, vous ne créez qu’un mouvement fédérateur, redonnant espoir aux gens.
Notez que c’est là mon opinion et qu’il est parfaitement possible que je me fourvoie totalement. Cependant, c’est ce que je pense et je tenais à vous en faire part pour vous aider, si je puis dire. Sans doute est-ce hautain de penser que je puisse vous aider. Qu’importe …
En effet, j’ai constaté la manière dont vous avez de parler des critiques, disant qu’elles « ne vous comprennent pas ». Vous vous appuyez trop sur vos succès passés pour justifier vos ½uvres présentes, et c’est néfaste car l’originalité s’en retrouve altérée. C’est encore une erreur de votre part d’en faire fit car les avis divergents sont généralement bien plus riches de renseignements que les éloges. L’erreur est le meilleur des apprentissages.
J’espère ne pas mettre montré trop incisif dans ma critique. Sachez tout de même que je continuerai à vous lire. J’ai grandement apprécié l’Ultime secret et l’Encyclopédie. J’ai récemment acheté la trilogie des fourmis, et à terme je me procurerai le livre du voyage et le père de nos pères.
En somme voilà comment je résumerais l’opinion que j’ai de vous : vous m’avez subjugué par Les Thanatonautes, me transformant en fan, cependant, ma ferveur décline à mesure que vous avancez dans vos travaux, que je trouve de qualité décroissante.
Sur ce, ce termine mon courrier. J’espère sincèrement que vous avez tout lu et que je vous ai interpellé comme vous l’avez fait pour moi. J’espère également avoir une réponse, si courte et si informelle soit-elle.
Avec toute la sympathie, la cordialité et l’admiration que j’ai pour vous.
Ostramus