*Elle souriait. Fière de sa nouvelle voiture. Heureuse de vivre, heureuse de rendre visite à sa famille, heureuse grâce à son amoureux qui lui tenait la main. Ils parlaient. Faisaient des projets... De leur conversation, les mots "enfants", "forêt", "course dans les bois", "jeux", ressortaient. Ponctués par des rires. Ils savouraient leur bonheur. Ils le savaient rare et éphémère, mais ils ne pesaient pas ces mots... Ils pensaient leur lendemain toujours aussi vif et gai qu'eux.
Parole amusante du roméo. Eclat de rires. Regards amoureux échangés. Elle ne regardait plus la route. "Attention!!". Klaxon. Lumière aveuglante. Coups de volant, coups de frein. Cris. Cri pour se rassurer en s'entendant.*
Je suis morte?? *Une lumière éblouissante, des chuchotements étouffés. Elle veut comprendre -elle a toujours été curieuse. Elle veut ouvrir ses yeux plus grand, toucher ceux qui l'entourent, tourner la tête pour mieux voir, parler.
Elle ne le peut.
Elle ne contrôle plus son corps.
Il est si lourd...
Elle croyait les anges plus léger.*
-Ecoutez... Vous m'entendez? Je suis désolé d'avoir à vous l'apprendre, mais il faut que vous le sachiez. Votre fiancé est mort.
*Arrêtons nous là. Essayons d'imaginer. Vous n'y arriverez sans doute pas, mais essayez quand même. Prenez la personne que vous aimez le plus. Et imaginez, un instant, qu'il soit mort. Vous sentez? Votre gorge se serre. Un bourdonnement dans votre tête vous empêche de réfléchir. Au début, vous essayez de le nier. C'est tellement simple, tellement confortable, de se voiler les yeux. Comment appelle-t-on cela? La technique de l'autruche. Ou la lâcheté, selon les cas. Un ancien proverbe vous revient en mémoire. "Des 36 façons d'éviter un problème, la plus sure est de fuir".
Vous vous secouez. Qu'importe les proverbes. Vous venez de vous rendre compte que ce que l'on vous a dit est vrai. Votre raison de vivre est morte. Votre première pensée: "il ne me reste plus qu'a mourir à mon tour".*
-Vous avez eu de la chance de vous en tirer.
*"Je me suiciderai"*
-Mais vous êtes paralysée à vie.
*Horreur. C'est donc vrai. Votre corps ne vous appartiens plus. Il n'es qu'une chaîne qui vous raccroche à la vie que vous voudriez fuir.
"La vie que vous voudriez fuir"... Mais pourtant, vous aimez la vie!? Non, vous l'aimiez. Quand "vie" était encore synonyme d'"enfants", de "forêt", de "course dans les bois", de "jeux".
Tous vous semble lucide, à présent.
Avec calme, vous vous dîtes que finalement, celui que vous aimiez a eu plus de chance que vous. Lui, il est léger.
Avec froideur, vous vous dîtes que "vie" est maintenant synonyme de "hôpital", "immobilité", et "pitié".
Car ils auront tous pitié de vous. Vous n'aimez guère la pitié. Trop souvent, la pitié est teintée de mépris.
Vous imaginez les visites à venir. Les vivants -car vous ne vous classez plus vraiment dans cette catégorie- rentreront dans votre chambre. En poussant la porte, ils abandonneront la fraîcheur et les rires, pour adopter un ton chuchotant et larmoyant qu'ils croient de circonstance. Ils vous regarderont. Jadis, vous leur parliez, jadis, vous les faisiez rire. Maintenant, la communication gratuite et limpide vous est interdite. Maintenant, vos amis ont l'impression que vous êtes un cadavre encore frais. Et pour cause, vous ne bougez guère plus qu'un cadavre encore frais. Ils restent quelques minutes, pleins de bonne volonté. Ils vous parlent, même. Quelle naïveté, un dialogue ne peux durer bien longtemps si une seule personne parle. De toute façon, ils se lassent vite de ce monologue. Ils ont les fourmis au pied. Envie de bouger. Ils commencent à s'ennuyer ferme. Alors, après quelques instants de gène, ils balbutient un "au revoir" et ils partent retrouver leur vie, qu'ils avaient mis en pause un moment.
Vous ne leur en voulez pas. Vous étiez comme ça, vous aussi. Vous aimiez bouger. Vous n'en profitiez pas assez, pourtant vous le pouviez. Maintenant, vous sentez le goût amer de ce que vous vous plaisiez à appeler "l'ironie de la vie" quand vous saviez encore parler. Maintenant aussi, vous avez envie de bouger. De faire quelque chose, n'importe quoi. Même taper sur un clavier vous procurerai un plaisir immense.
Respiration. Même ça, vous avez du mal à le faire. Vous revoilà dans votre chambre d'hôpital. Vous regardez les médecins d'un air désespéré, mais vous ne savez pas si votre désespoir arrive à traverser cette grande chose qu'est votre corps. Vous avez envie de leur dire. Ils comprendront... N'est-ce pas? Ils DEVRONT comprendre! Il faut leur dire... Leur dire que la "vie" qu'ils vont ont accordé, vous n'en voulait pas... Leur dire que tous serez mieux si vous étiez, vous aussi, partis découvrir l'inconnu qu'est la mort.
Vous essayez, mais en vain. Personne ne comprend. Pour eux, vivre est la plus belle des choses. Et pour eux, c'est vrai, vous le comprenez. Vous savez que vous n'êtes qu'une patiente parmi d'autres. Vous savez qu'ils pensent faire leur devoir en vous raccrochant à la vie.
Et bien, vous devrez donc vous passer d'eux. Vous devez vous débarrasser de la prison qu'est votre corps.
Vos proches comprendront. Ils ne veulent que votre bonheur.
Dieux, s'il existe, comprendra. Il a quand même assez de bon sens.
Seuls, ces médecins et cette société ne comprennent pas. Et ce sont ceux là qui tiennent la corde de votre vie. En d'autres circonstances, vous vous seriez battu, vous auriez réussi à vous passer de leur avis.
Mais que peux une âme prisonnière?
Dans ce monde qu'est le votre, dans ce monde que vous viviez mais dont -quoiqu'en dise les médecins- vous ne faîtes pas partit, même vous suicider tranquillement vous est impossible.*
Bref, tous ça pour dire que je suis pour. Je ne voulais pas faire quelque chose d'aussi long, mais c'est partit tout seul, désolée (de toute façon, m'étonnerais que beaucoup aient le courage de tous lire...)[/i]