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[Galerie] Dans la chambre...

Posté : lun. juil. 07, 2008 4:31 pm
par Viveleslivres
Un texte de moi... Une sorte de nouvelle en plusieurs volets, pas finie.

1er volet :

Dans le noir-soir de la chambre, doucement. Il faut la délicatesse du frère papillon et de la soeur fleur sauvage. Des mains agiles se pressent, hésitent, posent, reposent et déposent. La lumière est celle d’une petite lampe-lune ramenée d’Espagne. Au loin derrière la porte, on entend des bruits de voix, de la musique, des éclats de rires et des tintements de verre. Enfin ça monte à une hauteur appréciable. Plus qu’un et ce sera assez haut. De là-bas on appelle mais on n’attend pas vraiment une réponse. Le dernier est à choisir avec précaution, et à poser précisément. Il se concentre et prend celui le seul exactement qu’il fallait. Il laisse échapper un petit soupir de satisfaction soulagée, mais pas trop fort pour ne pas que ça fasse tout tomber. Il se tourne vers la fenêtre. Elle est en train de le regarder aussi, avec ses yeux tout noirs. Il sourit. C’est un plaisir discret et secret qui est encore mieux que la fête des grandes personnes. Il va la chercher, la prend dans ses bras et la câline. Lui murmure des mots doux d’encouragement. L’assied juste devant, elle tombe, il la relève. C’est un soir d’hiver lunatique, le vent à sa guise voile ou laisse libres les étoiles. La lumière électrique des lampadaires on finit par s’y habituer elle est orangée. Il aimerait bien que tous ils se déboîtent et sautent pour se déplacer en regardant partout et tout le monde avec leur ampoule, comme la lampe de Pixar avant le dessin animé que ses grandes personnes l’ont emmené voir hier. Il se souvient plus trop de l’histoire mais cette lampe là c’était rigolo. Il marche jusqu’à son lit, l’escalade en se disant qu’il est dans le désert tout seul, qu’il grimpe les gros rochers et tout. L’halogène là-bas est un cactus géant. Une fois installé sur sa couette celle-ci se transforme en tapis volant et il doit s’entourer de ses peluches pour faire un rempart contre le vide. Il survole des grandes villes, Paris, Bordeaux, Londres, Berlin, Issy-les-Moulineaux (c’est là qu’habite sa tante celle qui lui donne toujours des bonbons ronds aux fruits qui mettent très longtemps à fondre dans la bouche), New York. Il contemple les gratte-ciel, les places, les squares et aperçoit soudain le Golden Gate Bridge là-bas. Avec une lapine à l’entrée. Ah mince, il l’avait oubliée. Elle comprendra il espère c’est l’attrait de l’aventure. Ses yeux-boutons lui lancent un regard un peu fâché mais elle sourit quand même ; ça va. Elle doit avoir un peu peur après tout. Il se penche par-dessus la rambarde de son lit pour l’attraper par les oreilles qu’elle a râpeuses. Il l’approche du pont en kapla qu’il construit depuis tout à l’heure (il les a eus pour Noël et elle a déjà été grâce à eux à la tour Raphelle, dans une maison un peu chinoise de Hongrie en Asie et elle a monté plein d’escaliers en colimaçon). Il voit à ses oreilles qui restent un peu en l’air quand il les lâche qu’elle est tout excitée.

Les yeux brillants il recule, retourne sur son tapis volant et observe.

Lapine (elle s’appelle Lapine parce qu’il voulait l’appeler Tracteur – c’est un beau mot tracteur – mais sa maman a dit non c’est pas un joli nom pour une Lapine alors il a dit Tractopelle pour faire plus féminin mais maman a encore dit non trouve quelque chose de mieux. Il a fait la tête et joué aux voitures et après c’était trop tard il faut donner un nom aux peluches nouvelles tout de suite sinon elles veulent pas. Donc elle s’appelle Lapine.) Lapine regarde le pont en bois. Il a éteint la lampe pour pas la déranger mais du coup elle voit pas ce qu’il y a de l’autre côté. Et ça fait un peu peur. Alors elle lève une patte, tend l’oreille gauche. Rien. Pas de bruit – juste les grandes personnes qui parlent du Japon et des neveux de Mme Quarrot. Elle est un peu rassurée. Elle pose l’autre patte, tend l’oreille droite. Celle-là entend mieux que l’autre et elle perçoit une respiration de l’autre côté du pont. De toute façon, vu comment sont faites ses pattes, quand elle recule, elle tombe donc tant pis. Elle fait un petit saut en avant. Les lattes de bois ne frémissent même pas. Un autre petit bond. Elle remue son nez en fils de coton. Ça sent... quoi donc ? Le chou et... l’omelette avec une pointe de lait de soja. Ça vient aussi de l’autre côté du pont. Pas de fumet sans plat aussi elle se demande encore plus ce qu’elle va trouver après la traversée.

***Ajout :***

2e volet :


Il y avait dans une ville un appartement. Grand et clair et lumineux. Il y avait au bout d’un couloir une chambre moyenne dans laquelle il faisait sombre. C’était le soir, les volets n’étaient pas fermés, il y avait juste la lumière orangée des réverbères et celle blafarde de la lune. Il faisait silence aussi dans cette chambre au bout de ce couloir. Dans le salon plus loin, c’était joyeux, musical et assez bruyant. Si on regarde par le trou de la serrure, on voit des grandes personnes qui dansent, qui rient, qui bavardent et leur sourire danse aussi, leurs regards brillent. Il n’y a plus rien au-dehors pour eux, c’est ici qui compte, cette île, cette presqu’oasis.
Au début il était avec eux, savait pas trop quoi faire, gigotait sur le grand canapé beige à pois verts, grignotait un peu les olives des olives fourrées (il garde toujours les amandes et les piments pour Lapine). Il y a plein de dames qui lui tapotaient la tête en trouvant qu’il avait beaucoup grandi et tout et alors il avait très envie de se mettre debout sur le canapé et de leur emmêler aussi les cheveux en disant « et ben pas vous ! » parce qu’il est sûr qu’elles sont jalouses. Non mais c’est vrai quoi et pourquoi elles parlent tout le temps de l’école, il préfèrerait raconter ses aventures dans le désert, ou comment il a saucé Lapinettova dans une Grande Dole avec un loup très méchant déguisé en Arlapin.
Il s’ennuyait un peu mais juste un peu, et il n’avait pas envie d’aller encore tout seul dans sa chambre (bon, pas complètement tout seul, mais quand même !) à entendre la musique de fête des grands. Il a bu son verre de Champagne (en vrai, c’est du Champogny mais ça fait plus Quauboye de dire Champagne), il a joué à faire naviguer des coquilles de pistache dans des bols de glaçons fondus avec un combat naval entre les Piments et les Amandes. C’est les piments qui ont perdu parce qu’ils sont rouges et qu’il n’a pas trouvé de jus de tomate pour faire le sang des Amandes (qui sont blanches).
Et après, il en avait vraiment marre, il a repris les amandes (les piments étaient tombés dans le fond du bol d’icebergs parce que leur Pistachequebot a heurté un glaçon). Il est parti dans sa chambre très secrètement en passant sous la table (il se demande pourquoi on ne le fait pas plus souvent, parce qu’il n’y a que là qu’on voit vraiment bien les jolies chaussures des dames). Il a traversé le couloir, a caressé sans rien dire mais en souriant très fort le manteau en peluche marron de la dame qui a des cheveux de couleur différente à chaque fête. Il y pense très souvent mais il n’avait jamais osé. C’est vraiment tout doux, il se frotte un peu contre et il se rappelle Lapine qui doit en avoir assez de l’attendre. Il y a de moins en moins de bruit quand il avance vers sa chambre. Il fait de plus en plus sombre aussi. Il pense qu’il est un chat, et essaie d’habituer ses yeux à l’obscurité. Et ses oreilles au silence. Il tient ses deux mains serrées, parce qu’il ne peut se donner la main qu’à lui-même. Il pense très fort qu’il n’y a pas de monstres, c’est juste des livres. Et la grande ombre là ce n’est pas un loup ni un tigre c’est. Mais qu’est-ce que c’est ? Il se recule à pas de … et soupire. C’est la sienne d’ombre. Ouf.
Il se souvient du Champogny ; eh ! il est un Quauboye ! Il n’a pas de cheval, mais c’est parce que… parce qu’il va le chercher, voilà. Il est dans une écurie un peu loin du Saloon, et il doit traverser la ville tout seul ? Il y a des gangdits et des bansters qui rôdent, des ours à sonnette et des crapauds-buffles (il aime bien ce mot, il a entendu un monsieur le dire tout à l’heure quand il racontait son voyage au Canada il croit). Il se prend les pieds dans un serpent-camion qui alerte le shérif, qui saute par la fenêtre avec son pistolet à hélices bleu et rouge, ça fait un boucan d’enfer, heureusement les grandes personnes n’ont pas entendu. Comme il est un Quauboye, il ne pleure pas.
C’est pas de chance, il commence à pleuvoir sur Bedroom City, il court s’abriter sous son château en hauteur. Il y a un bon feu dans la très grande cheminée, il en profite pour faire sécher ses chaussettes et son armure en jeans. Il y a juste la lumière du feu. Il fait chaud. Il enfile son pyjama. Il discute avec une princesse qui s’appelle Dickily Eminson, c’est sa tante qui lui a offerte, celle qui habite plus loin qu’Issy-les-Moulineaux, parce qu’elle ne se souvenait plus s’il était une fille ou un garçon. Mais c’est pas grave, parce que ça fait quelqu’un à sauver. Mais ce soir elle n’est pas en danger, elle est occupée à essayer de broder un dragon sur une cotte de maille. Ça l’énerve alors elle lui demande de parler. Il aimerait qu’elle lui raconte San Francisco. Et là, paf, il se dit : Lapine ! Elle m’attend toujours ! Il s’excuse auprès de la princesse Dickily Eminson qui dit : C’est pas grave. Elle attrape une plume d’autriche et elle commence une lettre pour l’impérateur du Japon qui est son amoureux.
Il saute sur son mouton apprivoisé qui est très très très grand et qui a des ailes en tissu brillant depuis une semaine, Maman a bien voulu les coudre. Il s’appelle Ronsard. Il a vu ce nom sur un des livres de la bibliothèque du bureau, il a dit à Papa : c’est qui ? Papa a dit : un poète mon loulou. Il ne sait pas ce que c’est un poète, mais ça a l’air bien, et comme son mouton aussi est bien, il l’a appelé Ronsard. Donc il enfourche Ronsard et vole à tire d’ailes vers le Golden Gate Bridge où l’attend Lapine.
Elle est toujours à l’entrée, les oreilles à la perpendiculaire, ce qui veut dire beaucoup. Elle a peut-être fait un ou deux pas, mais pas plus. Il ne veut pas la bouger, de peur de la reculer, ce qui serait bête puisqu’elle a eu le courage d’avancer, ou de l’avancer, ce qu’il faut qu’elle fasse elle-même. Il lui fait un bisou sur l’oreille la plus en l’air. Il sent que ça la détend. Il file sur son château en hauteur pour la regarder.
Elle, elle est toujours aussi concentrée. Les yeux braqués sur l’autre côté du pont. Dans sa tête, il n’y a plus que ça : le pont et sa traversée et ce qu’il y a de l’autre côté. Elle commence à avoir très peur. Et à se demander si elle n’aura pas faim. Qu’est-ce qu’elle va faire si elle a faim ? On dirait qu’il entend ce qu’elle pense : il lui glisse les amandes dans la poche bleue cousue sur son ventre. Ouf. Ça au moins c’est bon elle aura pas faim. Mais du coup elle pense à tout le reste, à ce qui va lui arriver pendant et ce qui va se passe après. Alors elle court.
Elle court, elle court, elle court. Vite, vite, très vite, de plus en plus vite le malapin (pas raton) contre ses peurs. Ses pattes font trembler le pont, elle est peut-être seule, peut-être pas, elle ne sait pas, juste, elle court. Elle court, court, court. Une amande tombe de sa poche. Est-ce qu’elle s’arrête pour la ramasser ? Non, elle court. Elle a mal aux pattes. Est-ce qu’elle s’arrête ? Non, elle court.
Dickily Eminson est venue s’asseoir près de lui. Elle a un air anglais très doux – alors qu’elle est américaine. Elle regarde Lapine avec lui, ils sont très intéressés et aussi ont un peu peur. Ronsard a tellement la trouille qu’il est allé se percher sur l’abat-jour du plafonnier le dos tourné au pont.
Elle, elle court. Sans arrêt, encore. C’est toujours pareil de chaque côté d’elle. Elle a très peur d’être comme dans les histoires où on croit qu’on avance mais on n’avance pas. Pour ne pas être sûre, elle préfère continuer à courir. Elle court, elle court. Une deuxième amande saute de sa poche bleue. Est-ce qu’elle s’arrête ? Non, elle court. Elle court encore. Ça fait au moins dix milliards d’année qu’elle court, pense-t-il. Lapine pense aussi. Elle a vraiment de plus en plus mal aux pattes, c’est terrible. Elle pense que les petits fils de coton qui font ses orteils doivent commencer à se découdre. Il faudrait que je m’arrête, pense-t-elle. Alors elle s’arrête.
Et c’est comme si elle était entrée dans un énorme ballon un peu gluant, beurk. Mais il fait tout chaud en même temps. C’est un peu doux. Seulement, elle est encore sur le pont. Elle est aux deux endroits en même temps. C’est une sensation un peu bizarre, qui fait assez peur, mais c’est quand même excitant. Elle se dit : j’ai envie de sauter. Alors elle saute, bondit, gambade, pendant au moins trois milliards d’années et demi avant de se dire que le pont est fragile et qu’il y a de l’eau au-dessous et qu’elle ne sait pas nager et qu’elle a très très très peur. Elle arrête de sauter tout de suite, du coup. Et elle se remet à courir. À courir, à courir encore. Elle n’arrive plus à sortir du gros ballon, alors il se met à rouler avec elle. Elle court, il roule, elle court, il roule, elle court-il roule, il roule-elle court, il roule-elle court, elle court-il roule-elle court-il roule-elle roule-il court-elle roule-il court pendant racine carrée de pi de milliards d’années.
Le ballon éclate. Ça fait un bruit énorme très fort mais en silence. Il éclate en deux. Lapine ne sait pas dans lequel des deux elle est, peut-être qu’elle est dans les deux, ou pas du tout, ou peut-être un seul qui va aller au Pôle Nord pendant que l’autre va aller en Uruguay ! Ça fait très peur. Lapine, les deux Lapines, ou la Lapine du dehors, se roule en boule, tout serré, le plus petit possible. Une pelote de Lapine. Avec des bouts d’amande. Elle se demande comment le font fait pour résister à tout ce qui se passe. Elle déplie sa tête, juste un peu. Il fait noir, mais elle voit le reflet de la lune et des lampadaires dans l’eau sous le Golden Gate Bridge. Ça lui fait penser à un mot qu’elle a entendu dire par sa maman : mécanlolique.
Elle n’a plus peur, elle sait que dans pas longtemps elle aura peur, mais pas tout de suite. Là c’est juste calme. Elle fait coucou avec ses oreilles à une mouette insomniaque. Elle danse. Sur le pont de San Francisco. Il fait assez chaud. Tous les ballons s’envolent à tire d’hélium vers le ciel. Ils font comme des fleurs ou des nuages blancs sur le fond noir. C’est très calme. Elle danse encore, pas très vite, avec de grands pas, une danse entre lourd et léger. Ses oreilles sautillent quand ses pattes touchent le sol. Ça lui chatouille la nuque, c’est drôle. Drôle-joyeux, pas drôle-qui-fait-rire, parce que ça casserait le silence. Elle est au milieu du pont. C’est une danse, un rire, un calme plutôt mécanloliques de printemps.