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Bouddhisme

Posté : sam. nov. 04, 2006 4:37 pm
par Erratique
"Philosophie religieuse" diront certains (philosophie tout court puisqu'il n'y a pas de Dieu mias un exemple à suivre), beaucoup s'en réclament de nos jours.

"Je me sens proche du bouddhisme", "le bouddhisme est une philosophie pleine de savoir", etc.

Je suis assez étonné, à vrai dire, et il me semble que peu ont vraiment cherché ce qu'il y avait derrière, ce qu'était VRAIMENT le bouddhisme.

Le bouddhisme pose comme hypothèse première que nous nous réincarnons sans cesse, à cause de nos envies. Or aucun bonheur ne dure éternellement, et on retombe toujours sur la souffrance et la mort. Il faut donc s'extirper de ce cycle pour rejoindre le nirvana, c'est à dire l'ensemble des "âmes" (pour faire simple) qui ont réussi à arrêter de se réincarner. Pour cela, il faut arrêter de désirer.

Donc, qu'est ce que ça veut dire ?
- Que le but ultime est de détruire son individualité, ce qu'on est, pour rejoindre une masse indifférenciée, un grand "tout".
- Qu'il ne faut rien désirer : pas vivre, pas mourir, pas "constuire son bonheur" (tout bonheur terrestre est éphémère !), pas chercher l'amour (il l'est aussi)... Bref, rester seul, se priver de tous les plaisirs de la vie (pour ne pas être tenté par de faux bonheurs), et juste "ne rien vouloir".

Nihiliste et autodestructeur, le bouddhisme considère l'existence comme une éternelle souffrance à laquelle il faut échapper.

Le bouddhisme, ce n'est pas juste "je respecte l'herbe, les vaches, les animaux, on est tous égaux sur Terre". Le bouddhisme, ce n'est pas "je prends du recul par rapport au quotidien et je fais mes étirements de tai-shi pour me détendre" (d'ailleurs si vous voulez vous détendre, ça veut dire que vous avez le désir de vous détendre...).

Avez vous vraiment réfléchi à ce qu'était le bouddhisme avant de vous en réclamer ?

Posté : sam. nov. 04, 2006 5:05 pm
par bidibulle
C'est ce qui est beau je trouve, sé détacher du monde physique, n'être qu'esprit. Un esprit reposé et apaisé qui est sorti du cycle de haine et d'amour ainsi que des sentiments qui sont dévolus à l'homme.

Vivre sans désirs ni envie, sans sentiments, juste parcourir le chemin de la vie sans se soucier ni s'inquiéter et sortir du cercle de réincarnations qui t'obligent à revenir sur terre pour purger les fautes que tu as commise durant ta vie précédente, ne devenir qu'esprit...

Posté : sam. nov. 04, 2006 6:18 pm
par Erratique
Certes, mais pour ça tu dois aussi renoncer à vouloir devenir esprit (sinon tu continues à désirer, donc tu te réincarnes...). Désintégration totale de toute volonté, n'être qu'apathique face à tout ce qui nous entoure, n'éprouver ni amour ni haine, juste une indifférence profonde face à l'ensemble du monde. Ne même pas vouloir devenir un "esprit pur" (qui de toute façon n'a plus aucune individualité), juste s'annihiler. Est ce vraiment un exemple à suivre ?

Posté : sam. nov. 04, 2006 6:53 pm
par Eighteen Twelve
Rétablir la vérité sur une philosophie à la mode est une entreprise louable. Pour ma part, cela m'a rappelé un article que j'avais lu dans le diplo qui tente d'expliquer le succès du bouddhisme version new age dans nos sociétés industrielles.

"Le taoïsme est en passe de devenir l’idéologie hégémonique du capitalisme mondial. Une sorte de « bouddhisme occidental » se présente désormais comme le remède contre le stress de la dynamique capitaliste. Il nous permettrait de décrocher, de garder la paix intérieure et la sérénité, et fonctionnerait en réalité comme un parfait complément idéologique.

Les gens ne sont plus capables de s’adapter au rythme du progrès technologique et des bouleversements sociaux qui l’accompagnent. Les choses vont trop vite. Le recours au taoïsme ou au bouddhisme offre une issue. Au lieu de tenter de s’adapter au rythme des transformations, mieux vaut renoncer et « se laisser aller » en gardant une distance intérieure vis-à-vis de cette accélération qui ne concerne pas vraiment le noyau le plus profond de notre être..."



http://www.monde-diplomatique.fr/2005/05/ZIZEK/12370

Posté : sam. nov. 04, 2006 7:11 pm
par bidibulle
Je ne sais pas si c'est un exemple à suivre, et je ne parlais de désir d'être esprit juste du fait de le devenir de par cette renonciation et cette anihilation du vouloir du paraitre, il ne reste plus que l'être non pas vide mais rempli de serenité, et de bien être. Non pas parce qu'il y a le désir mais justement de par cette absence désir et donc l'absence de frustration.

Quand à la mode qui est cette religion, je trouve que cet article est très juste puisque cette religion demande de s'échapper du monde et de tout et c'est ce qui est recherché je trouve de plus en plus dans nos sociétés occidentales où on ne sais plus où on va ni pourquoi on y va.

Posté : sam. nov. 04, 2006 9:05 pm
par Halvorc
Le bouddhisme n'est pas anodin et peut être tout aussi dangereux que n'importe quoi d'autre. On ne compte plus au Japon les sectes bouddhistes qui seraient interdites en un clin d'oeil ici en France.

Posté : sam. nov. 04, 2006 9:49 pm
par $unshine
Le Bouddhisme est un mode de vie, une philosophie, une religion qui me fascine toujours autant.

Techniquement, j'ai encore beaucoup à apprendre sur le Bouddhisme mais d'après ce que j'ai pu lire pour le moment, je peux faire ma 'tite hypothèse... En effet, le Bouddhisme nous aide à mieux comprendre la vie. Il n'y a pas de vie sans souffrance. Il permet de mieux maitriser nos sens, nos corps sans que cela nous bloque le souffle de nos vies. Ca parle énormement de souffrance, "ne pas faire du mal à l'autrui", "être zen". Et je crois que c'est ça qui m'a permit de m'approcher du Bouddhisme. "Aime travaille et souffre" comme disait Jack Kerouac... non ? En même temps le Bouddhisme est une philosophie, une religion qui nous permet de nous échapper un instant ce qu'on vit actuellement sur Terre d'où le mot "zen".

Enfin... c'est ce que je pense :roll: N'hésistez à me corriger si je dis faux. Je me contente de m'instruire à travers les pensées "écritures" de différentes opinions, articles.

*Edit* Halvorc dans n'importe quel religion quelle soit bouddhisme, catholicisme, taoïsme, on retrouve toujours des sectes.

Posté : dim. nov. 05, 2006 11:10 am
par Erratique
le Bouddhisme est une philosophie, une religion qui nous permet de nous échapper un instant ce qu'on vit actuellement
Non. Le bouddhisme vise non pas un instant (ça c'est une déformation "néobouddhiste occidentale"), mais bien à ce que ta vie entière lui soit dévouée, ou plutôt tes vies (réincarnation oblige).

Si tu aimes, ça veut dire que tu désires quelqu'un (ou que tu désires lui plaire, ou simplement que tu désires être avec) : c'est une erreur ! Il faut abandonner TOUT désir, selon la morale bouddhiste. Ce n'est pas un acte d'amour ou d'altruisme, puisqu'au contraire cela revient à être indifférent à tout ce qui t'entoure, être une espèce de carcasse amorphe : je te jette des cailloux dessus, tu ne dois rien faire car si tu agis, ça veut dire que tu désires te défendre, que tu désires vivre.

Un peu de détachement, ça ne fait pas de mal. Être complètement détaché de la vie, c'est ne pas l'aimer (et d'ailleurs le bouddhisme ne se pose pas en opposition de cet état de fait, puisque le but ultime est bien de sortir du cycle de la vie et de la mort !).

Essaie de pousser le raisonnement bouddhiste jusqu'au bout au lieu de juste piocher ce qui te plait dedans...

Posté : dim. nov. 05, 2006 11:31 am
par Halvorc
Ce qui est un peu difficile quand on ne jure que par Nietzsche.

Posté : dim. nov. 05, 2006 2:02 pm
par bidibulle
Je comprends très bien que tu fasses une description de ce qu'est le bouddhisme en réalité parce que c'est vraiq ue tel qu'il est pratiqué dans la majorité des cas actuellement ce n'est pas du bouddhisme mais pourquoi vouloir poussé ceux qui le pratique de cette manière et en sont heureux vers l'extrème en meur disant d'appliquer la religion à la lettre ?

C'est justement ce qui me dérange dans les religions et qui est très agréable dans le bouddhisme c'est qu'il a su s'adapter et que chacun peut y puiser ce qu'il désire sans pour autant être jusqu'au boutiste et devoir suivre la religion à la lettre.

Ne peut on pas prendre ce que l'on désire dans une religion parce que cela nous satisfait et faire abstraction du reste ?
JE comprends que dans ce cas là il ne faut pas se définir comme bouddhiste puisque tel n'est pas le cas en en prenant qu'une partie mais n'est ce pas plus sain de ne prendre que ce qui nous convient en laissant les côtés desagréables qui font que les religions ont de moins en moins de succès ?

Enfin, c'est vrai que le bouddhisme est une religion très dur et qu'à ma connaissance même Bouddha n'a pu se défaire de tous ces désirs et envies mais peut être peut on y arriver sans suivre tous ses préceptes simplement en faisnat comme on l'entend...

Posté : dim. nov. 05, 2006 2:39 pm
par Erratique
bidibulle a écrit :Je comprends que dans ce cas là il ne faut pas se définir comme bouddhiste
C'est justement ça qui me dérange : les gens qui se revendiquent "bouddhiste" et qui ne suivent pas un millième des principes de cette "religion-philosophie". Ce qui me gêne le plus, c'est ce qui est mis de côté, ce n'est pas le détail de la religion mais bien son fondement, pour ne prendre justement que les à côtés. C'est ridicule, voir même révoltant, dans pareille circonstance, de vouloir se qualifier de bouddhiste... "Néo bouddhiste occidental" à la limite ^^

Posté : dim. nov. 05, 2006 3:20 pm
par Tsuki
Ce qui me gêne le plus, c'est ce qui est mis de côté, ce n'est pas le détail de la religion mais bien son fondement, pour ne prendre justement que les à côtés.
Pour toutes les religions-philosophies orientales (tiens hop ! c'est une religion ou une philosophie ? :razz: ), les gens n'ont tendance à n'en voir qu'une minuscule facette. Un peu comme les gamins qui se prétendent gothiques, épicuriens, etc...
Surtout que l'Orient est à la mode en ce moment, autant au niveau philosophique que culturel, peut-être parce qu'il fait contrepoids à la culture outre-atlantique ambiante et à la pression de la société.
Pour une fois qu'on nous propose une contre-modèle culturel, ces gens n'ont peut-être pas envie qu'on leur dise que c'est un modèle nihiliste auto-destructeur (je suis tout à fait d'accord sur ce point Erratique).
Et puis quand on a trop souffert, qu'on subit trop de pression, beaucoup sont tentés par le fait de devenir "minéral", de ne rien ressentir...

Pour sur, Nietzsche et Sartre (la Mauvaise Foi, s'incarnant dans le refus de l'individualité car permettant trop de libertés, donnant le vertige, la "Nausée", et beaucoup prefèrent se réfugier dans la servitude aliénante mais sécurisante) auraient gueulé un bon coup contre le bouddhisme je pense !

Posté : dim. nov. 05, 2006 3:28 pm
par $unshine
bidibulle a écrit :C'est justement ce qui me dérange dans les religions et qui est très agréable dans le bouddhisme c'est qu'il a su s'adapter et que chacun peut y puiser ce qu'il désire sans pour autant être jusqu'au boutiste et devoir suivre la religion à la lettre.

Ne peut on pas prendre ce que l'on désire dans une religion parce que cela nous satisfait et faire abstraction du reste ?
JE comprends que dans ce cas là il ne faut pas se définir comme bouddhiste puisque tel n'est pas le cas en en prenant qu'une partie mais n'est ce pas plus sain de ne prendre que ce qui nous convient en laissant les côtés desagréables qui font que les religions ont de moins en moins de succès ?

Enfin, c'est vrai que le bouddhisme est une religion très dur et qu'à ma connaissance même Bouddha n'a pu se défaire de tous ces désirs et envies mais peut être peut on y arriver sans suivre tous ses préceptes simplement en faisnat comme on l'entend...
C'est ce qu'on entend justement le côté philosophique du Bouddhisme. C'est à dire sans que cela devient une religion à prendre au pied de la lettre.

Posté : dim. nov. 05, 2006 3:40 pm
par Tsuki
Oh, même une religion ne se prend pas au pied de la lettre, il n'y a qu'à voir l'application de l'Islam pour s'en apercevoir (port du voile, Ramadan, alcool, etc.)

Par contre, tout comme il faut faire attention ni à prendre une pensée au pied de la lettre, on fait attention quand on prend des morceaux éparts qui les détacheraient de son essence : puis-je rappeler qu'Hitler reprenait des bouts de Nietzsche pour justifier ses actes ? Un de ses proches, Eichmann a utilisé l'Impératif catégorique de Kant pour se justifier...

Ce qui gène Erratique, ce n'est pas tant qu les gens prennent ce qui leur plait dans le bouddhisme, mais bien que ces gens ne savent pas ce qu'est le bouddhisme et se laissent bercer par une philosophie-illusion de leur cru. Ce qui est tout aussi dangereux...

Posté : dim. nov. 05, 2006 3:44 pm
par bidibulle
Pourquoi serait ce dangeureux ?

N'est ce pas plutôt le fait de suivre les religions à la lettre qui est dangeureux ?

Enfin je trouve qu'adapter une religion à soi est bien meilleur que de s'adapter à la religion, non ?

Posté : dim. nov. 05, 2006 3:51 pm
par Tsuki
Pourquoi serait-ce dangereux ?

Tu auras beau appliquer le minimum de principes religieux que tu voudras sans t'identifier à cette religion, il n'empêche que tu les appliques, ce qui te rapproche de cette dite religion. Coup de bol pour le bouddhisme, on n'arrive pas vraiment à définir si c'est une philosophie ou une religion...d'autant plus que ce n'est pas un monothéisme, dans lequel une application partielle de ses principes est clairement inenvisageable.

Posté : dim. nov. 05, 2006 4:35 pm
par Cell
Je ne me dit pas bouddhiste bien que c'est quelque chose qui m'attire vraiment mais pas jusqu'a vivre tout les preceptes, certaines des choses qui sont dites me semble saine pour la vie physique et spirituel. Mais je me base sur mes expériences pour ma vie courante et pas sur ce que quelqu'un a dit il y a 2000 ou 3000 ans.

Posté : dim. nov. 05, 2006 6:14 pm
par Halvorc
Tsukiyojin a écrit :
Ce qui me gêne le plus, c'est ce qui est mis de côté, ce n'est pas le détail de la religion mais bien son fondement, pour ne prendre justement que les à côtés.
Pour toutes les religions-philosophies orientales (tiens hop ! c'est une religion ou une philosophie ? :razz: ), les gens n'ont tendance à n'en voir qu'une minuscule facette. Un peu comme les gamins qui se prétendent gothiques, épicuriens, etc...
Surtout que l'Orient est à la mode en ce moment, autant au niveau philosophique que culturel, peut-être parce qu'il fait contrepoids à la culture outre-atlantique ambiante et à la pression de la société.
Pour une fois qu'on nous propose une contre-modèle culturel, ces gens n'ont peut-être pas envie qu'on leur dise que c'est un modèle nihiliste auto-destructeur (je suis tout à fait d'accord sur ce point Erratique).
Et puis quand on a trop souffert, qu'on subit trop de pression, beaucoup sont tentés par le fait de devenir "minéral", de ne rien ressentir...

Pour sur, Nietzsche et Sartre (la Mauvaise Foi, s'incarnant dans le refus de l'individualité car permettant trop de libertés, donnant le vertige, la "Nausée", et beaucoup prefèrent se réfugier dans la servitude aliénante mais sécurisante) auraient gueulé un bon coup contre le bouddhisme je pense !
Nietzsche était plus ou moins influencé par son aîné, Arthur Schopenhauer, avant de se retourner contre lui et sa philosophie, qui sont donc pratiquement inverses. Il est à noter que Schopenhauer était très porté sur les cultures orientales et admirait plus ou moins le bouddhisme, dont il s'est inspiré (en plus de Kant dont il était un fervent admirateur) pour l'ensemble de ses travaux philosophiques (je dirais même complètement repompé) si bien que maintenant Schopenhauer est universellement reconnu comme le théoricien du Pessimisme. Il faut préciser que le monsieur n'était pas très heureux en amour et qu'il avait fini par vivre en ermite avec son chien.
La Souffrance

Le comportement des animaux et des hommes, qui sont les objectivations supérieures de la Volonté, est entièrement régi par la souffrance, qui est perçue positivement. Les plaisirs ne sont que des illusions fugaces, des apaisements au creux des désirs et tracas ininterrompus. Ils n’apparaissent qu’en contraste avec un état de souffrance, et ne constituent pas une donnée réelle pour les êtres en mouvement. Le bonheur est un repos de l’esprit mais un repos éphémère puisqu'il est sans cesse troublé par l'apparition de nouveaux désirs dont l'inassouvissement constitue un obstacle au bonheur. Parce que tous les êtres souffrent, la souffrance est la vérité du monde, et la vérité de la condition humaine.

L’amour

Dans Le Monde comme volonté et comme représentation, on peut lire, au début du chapitre consacré à la métaphysique de l’amour : « Aucun thème ne peut égaler celui-là en intérêt, parce qu’il concerne le bonheur et le malheur de l’espèce, et par suite se rapporte à tous les autres […] ».

« Au lieu de s’étonner, écrit Schopenhauer, qu’un philosophe aussi fasse sien pour une fois ce thème constant de tous les poètes, on devrait plutôt se montrer surpris de ce qu’un objet qui joue généralement un rôle si remarquable dans la vie humaine n’ait pour ainsi dire jamais été jusqu’ici pris en considération par les philosophes »

L’importance de ce thème se comprend si l’on part de ceci que, pour Schopenhauer, la volonté constitue le fond des choses. Si le monde est l’objectivation de la volonté, si par lui, elle parvient à la connaissance de ce qu’elle veut, à savoir ce monde lui-même ou, aussi bien, la vie telle qu’elle s’y réalise, on admettra que volonté et vouloir-vivre sont une seule et même chose.

Or, l’amour est ce par quoi la vie apparaît ici-bas. De la vie, l’expérience nous enseigne qu’elle est essentiellement souffrance, violence, désespoir. Cette misère des êtres vivants, misère que la lucidité nous contraint à reconnaître, ne répond à aucun but final : originellement, la volonté est aveugle, sans repos, sans satisfaction possible.

Certes, la nature poursuit bien, en chaque espèce, un but, qui n’est autre que la conservation de celle-ci. Mais cette conservation, cette perpétuation, ne répond elle-même à aucune fin : chaque génération refera ce qu’a fait la précédente : elle aura faim, se nourrira, se reproduira. « Ainsi va le monde, résume Martial Guéroult, par la faim et par l’amour ». La seule chose qui règne, c’est le désir inextinguible de vivre à tout prix, l’amour aveugle de l’existence, sans représentation d’une quelconque finalité.

Ainsi, chez Schopenhauer, l’amour se présente d’abord comme cet élan aveugle qui conduit à perpétuer la souffrance en perpétuant l’espèce. L’acte générateur est le foyer du mal. Dans un entretien avec Challemel-Lacour, en 1859, Schopenhauer dit : « L'amour, c’est l’ennemi. Faites-en, si cela vous convient, un luxe et un passe-temps, traitez-le en artiste ; le Génie de l’espèce est un industriel qui ne veut que produire. Il n’a qu’une pensée, pensée positive et sans poésie, c’est la durée du genre humain. ». Céder à l’amour, c’est développer le malheur, vouer une infinité d’autres êtres à la misère. Ceci explique directement le sentiment de honte et de tristesse qui suit, chez l’espèce humaine, l’acte sexuel. Le thème de l’amour chez Schopenhauer est donc à mettre en rapport avec l’horreur devant la vie : il apparaît d’abord comme un objet d’effroi.

La passion amoureuse et l'inclination sexuelle

La passion amoureuse et l’instinct sexuel, pour Schopenhauer, sont une seule et même chose. À ceux qui sont dominés par cette passion, écrit-il, « Ma conception de l’amour (…) apparaîtra trop physique, trop matérielle, si métaphysique et transcendante qu’elle soit au fond ».

À l’opposition classique entre l’esprit et le corps, Schopenhauer substitue une opposition entre l’intellect et la volonté. Or il faut reconnaître, dans la sexualité, une expression du primat du vouloir-vivre sur l’intellect, primat qui implique que « les pensées nettement conscientes ne sont que la surface », l’intellect, et que nos pensées les plus profondes nous restent en partie obscures, quoiqu’elles soient, en réalité, plus déterminantes, plus fondamentales. Ces pensées profondes sont constituées par la volonté, et la volonté, comme vouloir-vivre, donc vouloir-se-reproduire, implique, en son essence, la sexualité.

En affirmant ainsi le caractère obscur pour la conscience des pensées liées à la sexualité, Schopenhauer esquisse une théorie d’un moi non-conscient – mais il ne s’agit pas encore d’une théorie de l’inconscient, au sens où l’entendra Freud. C’est à partir de ce fond non-conscient, c’est-à-dire à partir de la sexualité, qu’il faut comprendre l’existence, chez l’être humain, de l’intellect : « du point externe et physiologique, les parties génitales sont la racine, la tête le sommet ».

L’instinct sexuel est l’instinct fondamental, « l’appétit des appétits » : par lui, c’est l’espèce qui s’affirme par l’intermédiaire de l’individu, « il est le désir qui constitue l’être même de l’homme ». « L’instinct sexuel, écrit-il encore, est cause de la guerre et but de la paix : il est le fondement d’action sérieuse, objet de plaisanterie, source inépuisable de mot d’esprit, clé de toutes les allusions, explication de tout signe muet, de toute proposition non formulée, de tout regard furtif […] ; c’est que l’affaire principale de tous les hommes se traite en secret et s’enveloppe ostensiblement de la plus grande ignorance possible ». « L’homme est un instinct sexuel qui a pris corps ». C’est donc à partir de lui qu’il faut comprendre toute passion amoureuse. Tout amour cache, sous ses manifestations, des plus vulgaires aux plus sublimes, le même vouloir vivre, le même génie de l’espèce.

Pourtant, dira-t-on, n’y a-t-il pas, entre l’instinct sexuel et le sentiment amoureux, une différence essentielle, puisque le premier est susceptible d’être assouvi avec n’importe quel individu, tandis que le second se porte vers un individu en particulier ?

Schopenhauer ne nie aucunement une telle distinction. Il fait même de l’individualisation du choix amoureux le problème central de la psychologie amoureuse. Le choix des amants est la caractéristique essentielle de l’amour humain. Cela ne signifie pas, pour autant, qu'on ne peut pas expliquer ce choix par le génie de l’espèce. La préférence individuelle, et même la force de la passion, doivent se comprendre à partir de l’intérêt de l’espèce pour la composition de la génération future. « Toute inclination amoureuse (…) n’est (…) qu’un instinct sexuel plus nettement déterminé (…), plus individualisé ». « Que tel enfant déterminé soit procrée, voilà le but véritable, quoique ignoré des intéressés, de tout roman d’amour ». C’est dans l’acte générateur que se manifeste le plus directement, c’est-à-dire sans intervention de la connaissance, le vouloir-vivre.

Or, l’amour, la reproduction, ne sont que ce par quoi le mal, la misère, sont perpétués dans le monde. La passion amoureuse est ainsi au centre de la tragédie sans cesse réitérée que constitue l’histoire du monde. La tragédie est d’autant plus grande qu’en procréant, l’individu prend obscurément conscience de sa propre mort : il n’est rien, seule compte l’espèce, et l’espèce n’est faite que d’autres individus qui, comme lui, connaissent la souffrance et l’angoisse. Les aspirations des amants, écrit Schopenhauer, « tendent à perpétuer cette détresse et ces misères qui trouveraient bientôt leur terme, s’ils n’y faisaient pas échec comme leurs semblables l’ont fait déjà avant eux ».

La lucidité, et le sentiment de pitié dont l’homme est susceptible à l’égard des autres êtres vivants, imposent de mettre un terme à ces souffrances, en renonçant à la procréation.

La pitié

Précisément, le terme d’amour peut s’entendre, non plus au sens d’instinct sexuel ou de passion amoureuse, mais au sens d’universelle compassion devant l’universelle souffrance dont nous sommes témoins. La pitié, en effet, est la seule vertu morale qui fait véritablement sens. C’est dans la charité qui est, aussi bien, amour de l’humanité, que le phénomène moral se manifeste avec le plus de force et de clarté. La pitié est alors définie un sentiment intérieur entièrement spontané.

Mais cette affirmation n’est pas sans poser problème : un tel sentiment est-il seulement possible ? « Comment, demande Schopenhauer, une souffrance qui n’est pas mienne, qui ne me touche pas moi , peut-elle devenir à l’instar de la mienne propre, un motif pour moi et m’inciter à agir ? »

En réalité, le sentiment de pitié s’explique par l’unité de la volonté au-delà de la multiplicité des individus : la volonté du moi, en tant justement que volonté, se reconnaît identique à celle d’autrui dans un seul et même être.

Quelles sont les conséquences pratiques et éthiques de ce sentiment de pitié, d’amour pour l’humanité (mais aussi pour les animaux) ? Autrement dit, que puis-je faire, au juste, face à la souffrance d’autrui ? Au fond, un individu peut difficilement soulager les souffrances d’un autre. Pour Schopenhauer, la participation à la souffrance d’autrui ne trouve son achèvement que dans l’affranchissement de la souffrance du monde par l’abolition du vouloir-vivre, par la négation de celui-ci dans l’ascétisme, négation qui peut aboutir à un état de béatitude.

D’où l’exhortation, chez Schopenhauer, à la restriction des désirs, mais aussi l’éloge des plaisirs esthétiques et intellectuels. L’abnégation totale du vouloir-vivre implique d’abord la négation du corps, donc de la sexualité, qui est l’expression la plus directe de la volonté. Le refus de perpétuer la souffrance de l’humanité implique ainsi un refus de la procréation : la mortification de la volonté passe, dès lors, par le célibat, la chasteté volontaire. En d’autres termes, la pitié - c'est-à-dire l’amour pour l'humanité -, trouve sa plus haute forme d'accomplissement dans le renoncement à la sexualité et au sentiment amoureux.

La philosophie de Schopenhauer de l'amour conduit donc, d’une part, à l'identification de l’instinct sexuel et de la passion amoureuse (celle-ci n’étant qu’un instinct sexuel individualisé), et d’autre part, à une opposition radicale entre l’amour-charité et l’amour-passion.

Posté : ven. nov. 17, 2006 1:27 pm
par gohrmicia
ERRATIQUE dit : C'est justement ça qui me dérange : les gens qui se revendiquent "bouddhiste" et qui ne suivent pas un millième des principes de cette "religion-philosophie".

Je pense qu'Erratique parle du Bouddhisme tel qu'il était enseigné il y a plus de 1000 ans et où l'enfant dès son plus jeune âge était destiné à devenir prêtre. IL devait suivre les préceptes à la lettre et connaître les fondements du bouddhisme. IL avait un maître qui l'enseignait. Mais sa destinée était déjà tracée.

IL est inconcevable qu'actuellement ces mêmes préceptes soient suivis par tous ceux qui se disent bouddhistes, car cet enseignement est extrêmement rude et demande un travail de tous les instants.
D'ailleurs, le Bouddhisme tel qu'il était enseigné alors, n'existe plus. IL a été très remanié pour être accessible au plus grand nombre.
Je chercherai un extrait d'un livre que j'ai lu il y a quelques temps, et vous en ferai part dès que possible et qui explique cette chose-la.